Lectures // Lecture ・ « Les Castellucci » Ecrivains de plateau I, Bruno Tackels, Les Solitaires Intempestifs

Lecture ・ « Les Castellucci » Ecrivains de plateau I, Bruno Tackels, Les Solitaires Intempestifs

Déc 30, 2013 | Aucun commentaire sur Lecture ・ « Les Castellucci » Ecrivains de plateau I, Bruno Tackels, Les Solitaires Intempestifs

ƒƒ Article  Camille Hazard

les castellucci

 

« Toute tentative théâtrale authentique affronte ce paradoxe inquiétant : comment rendre compte d’un monde qui n’est pas de ce monde, avec une langue qui n’est pas encore parlée dans ce monde ? » Bruno Tackels

En 2005 Bruno Tackels s’attèle à l’écriture d’une série de livres dans lesquels il tente de percer et d’analyser le travail de certains metteurs en scène contemporains et des écrivains de plateau. Ce qui les rassemble ; la volonté de créer  un geste, un acte scénique total à partir d’une partition articulée  autour d’improvisations, de matières musicales, chorégraphiques, picturales… L’auteur et sa pièce de théâtre  tant choyés depuis le théâtre antique, laisse place à un plateau vide et au champ des possibles sans limite.

À ce jour six volumes ont été rédigés. Le dernier, s’immisçant dans la vie créative du Théâtre du Soleil et d’Ariane Mnouchkine, donnait fortement envie de lire d’autres ouvrages organisés sur la même recherche : une écriture théâtrale naît de matières et du plateau.

Mais revenons au début de l’aventure ; en 2005 Bruno Tackels se rapproche de la Societas Raffaello Sanzio et de la Famille Castellucci : Roméo, sa sœur Claudia et sa femme Chiara Guidi. Le livre, découpé astucieusement en trois chapitres, alterne les formes stylistiques : essais, interview et journal de bord.

B.Tackels décortique  les ambitions scéniques et la pensée de la Societas, dès sa naissance en 1981 à Cesena en Italie. Leur soif insatiable de quête artistique les amène à inventer une  nouvelle langue scénique, naît de divers matériaux artistiques mais bien d’autres  aussi peu utilisés au théâtre jusqu’alors : théologie, histoire, médecine, sciences…Leur crédo ? « Comment en finir avec la représentation ? » Les Castellucci repoussent les frontières de l’inspiration et font de l’Histoire, de l’Homme et du Monde, un puits sans fond dans lequel ils plongent à corps perdus. C’est certainement l’accointance  de Bruno Tackels avec la philosophie (il est aussi docteur en philosophie) qui l’amène à employer des mots si justes, si limpides pour décrire souvent  une pensée ou une notion quelque peu tortueuse… des termes comme « fragment du vivant », « bain sonore », « nappe musicale », geste de désossement », et bien d’autres, transmettent lumineusement  la pensée de la Societas Sanzio.

« Nous sommes sortis de la sphère du dieu, et c’est pour cela que nous sommes condamnés à la nouveauté, condamnés à aller toujours plus loin, toujours de l’avant » Roméo Castellucci

Dans le premier chapitre intitulé « Societas Raffaello Sanzio, l’art de la peste », Bruno Tackels pénètre l’univers et la force de frappe des Castellucci. Derrière l’utilisation de toutes sortes de matériaux il y a également le besoin de transfigurer ces matières, la lumière tient son rôle, le « bain sonore » enveloppe la matière vivante, les comédiens apparaissent comme « présence organique », comme une chaire hurlante. Le tout forme un spectacle total qui laisse rarement le public indifférent …

Les questions de religion, du sacré, de la tragédie sont évoquées à l’intérieur de cette première partie ; chapitre indispensable pour la compréhension du second, l’entretien avec  Roméo Castellucci. Dans cet entretien, Bruno Tackels revient sur le scandale qu’avait suscité le spectacle de la Societas en 1999 à Avignon « Voyage au bout de la nuit » d’après Céline. Un engagement si intense de la part d’artistes ne laisse pas indifférent et il est intéressant de voir comment le public réagit face à ces œuvres « totales », car c’est pour lui et pour lui seul, qu’elles se créent ! Ce chapitre n’est ni un plaidoyer, ni un réquisitoire, mais il donne l’occasion à R.Castellucci d’éclairer certaines zones d’ombre tapies dans ces spectacles et qui ne parviennent pas toujours aux sens de ceux qui les vivent. Et n’oublions pas le metteur en scène, à qui on offre la possibilité de se confronter à cette question : «  Est-ce-que je suis parvenu à transmettre ce que je désirais ? Comment le transmettre ? ».  Les spectacles Genesis (en trois volets) et l’ambitieux projet Tragedia Endogonidia, composé de 11 spectacles à jouer dans 10 villes différentes d’Europe, sont détaillés par le metteur en scène sous la plume connaisseuse et ferme de B.Tackels.

La troisième partie du livre laisse le lecteur libre de butiner là où il le souhaite. Notes, carnets de bord, souvenirs, nous emmènent sur l’autre versant de la vie de cette compagnie : le théâtre enfantin, les stages, les ateliers et l’aspect « pédagogique » de la Societas qui a toujours mis un point d’honneur à travailler avec le jeune public. Un souvenir marquant de la représentation de « l’épreuve d’un autre monde » un matin à Cesena, avec un groupe d’enfants, nous éclaire sur ce que la Societas entend par pédagogie, culture, éducation ! Un moment simple de partage entre des générations différentes, des rêves différents, des mondes différents… pour comprendre que « L’enfance et le théâtre se rejoignent pour dire que la pensée n’est jamais fondée sur une logique d’autorité. »

Les Castellucci
Ecrivains de Plateau I
De Bruno Tackels
Les Solitaires Intempestifs
1 rue Gay-Lussac
25 000 Besançon
http://www.solitairesintempestifs.com/

 

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.