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Lecture • « Les mots de la matière » d’Odile Duboc

Oct 17, 2013 | Aucun commentaire sur Lecture • « Les mots de la matière » d’Odile Duboc

ƒƒ Lecture Djalila Dechache

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Pour qui connaît Odile Duboc (1941-2010), entrer dans ce livre signifie entrer dans sa planète étrange et captivante.

Odile Duboc fait partie de la génération d’artistes – chorégraphes pionniers de la danse contemporaine française nourrie aux post – modernes américains tel que Merce Cunningham, Martha Graham, Trisha Brown ou Alvin Nikolaïs pour ne citer que ceux là. Elle fait partie de la génération de Dominique Bagouet (1951-1992), Régine Chopinot et Daniel Dobbels et beaucoup d’autres qui poursuivent, continuent encore aujourd’hui leurs recherches et leurs créations.

Une chorégraphe à part

Elle fonde sa propre école en 1970, à Aix-en-Provence, sa ville d’adoption et devient pédagogue autodidacte. Elle crée ensuite sa compagnie en 1983, soit après 13 ans de pratique et dirige avec Françoise Michel, le Centre Chorégraphique National de Belfort de 1990 à 2008.Et puis, elle décide de passer la main. Comme on peut le constater la formation, la transmission est au cœur de sa démarche et accompagnera son parcours-héritage au-delà du temps et pour de nombreuses générations suivantes. « La chorégraphie dit-elle, pour moi, c’est un moyen d’expression et c’est ma façon de penser (…) elle me permet de communiquer avec les gens ». Voilà Odile Duboc, désarmante de justesse et de vérité.

Autant le dire tout de suite, ce n’est pas un livre ordinaire : c’est celui d’une quête, du cheminement spirituel d’une artiste touchée par la grâce qui à chaque pas découvre quelque chose qui la conduit plus loin à chaque pas.Parce que c’est une histoire sans fin que celle du danseur qui a pour outils l’intention, le corps, le souffle, l’espace, le mouvement, la forme. Et le rêve bien sûr. Elle a une sensibilité affûtée au-delà de toute perception ordinaire qui lui donne une avance, une projection en toutes choses. Sa danse repose sur des sensations : quoi de plus difficile à rendre sur scène, à exprimer par le geste, à restituer au plus juste.

«Juste l’intention, juste l’avant-geste, écrit Isabelle Ginot, dans Corps provisoire, édité chez  Armand Colin. Le geste jamais terminé, abandonné juste avant son achèvement. Le corps dansant d’Odile Duboc est un corps rare : il ne possède pas de surface, pas de limite, il n’est qu’intention pure. Il n’a pas eu le temps de dessiner, c’était une esquisse, seul le dedans compte… La peau absente.»

Le livre « Les mots de la matière » véritable exploration personnelle, retrace l’histoire et le parcours d’Odile Duboc à partir de notes, d’entretiens, croquis, ses Carnets de retours de scène, si précieux, si délicats, si sensibles. Elle cite beaucoup Bachelard, Blanchot,  Virilio qu’elle devait lire inlassablement.Le titre est emprunté à un spectacle-phare de la chorégraphe « Projet de la matière » en 1993 au titre et au travail fondateurs. Ce travail représente un tournant de son travail. Une installation plastique avec des sculptures en rondeur, creux et pleins qui se fond avec les corps. Je me suis demandée comment travaillent les autres danseurs : il y a fort à parier qu’ils se nourrissent de ceux qui les précèdent et en particulier d’Odile Duboc qui s’est investie constamment dans la transmission par son engagement tout au long de sa vie.

Une méditation sur la vie

C’est un livre de chevet s’il en est pour la danse, parce qu’il dépasse ses contours et se pose sur la vie tout simplement. Véritablement. C’est pourquoi je dirais également que c’est un livre de méditation, à lire, à ouvrir aussi un peu au hasard et se trouver happé par la force de sa simplicité, de ses trouvailles et de sa pensée toujours vivace telle une plante grimpante. Ancrée, elle le fut, dans un mouvement perpétuel, visible et invisible.Odile Duboc est une solitaire sans être seule, elle est sans cesse en train de vivre quelque chose d’intérieur, de visualiser sa respiration, son souffle, sa peau, sa capacité à inventer une écriture chorégraphique voire humaine, voire spirituelle tant sa démarche à la recherche de la « conscience du corps » s’apparente, sans être un ermite, à celle des bouddhistes, des soufis en un mot, des ascètes.De là découle tout naturellement la perception du temps qui vient également alimenter une réflexion chez Odile Duboc pour qui « chorégraphier c’est créer une musique propre qui viendrait de l’intérieur ». C’est étrange comme cela résonne avec des chanteurs en général de cette époque – elle qui aurait aimé travailler avec Giovanna Marini, Paolo Conte ou Michel Jonasz – en particulier avec une chanson de Bernard Lavilliers «  la musique est un cri qui vient de l’intérieur ». Il ne serait pas ridicule de penser qu’elle avait écouté cette chanson après tout! Et de dire par extension, que la danse est un cri, est un son qui vient de l’intérieur, aussi banal que cela puisse paraître sauf que c’est Odile Duboc qui envisage la danse de cette manière, avec ce regard et cette pratique-là.Si les arts en France n’étaient pas si cloisonnés, une artiste comme Odile Duboc, ne serait pas restée aussi confidentielle, dans son « clan » de danseurs, elle aurait beaucoup apporté au théâtre, à la musique, à la pensée et à la littérature sans oublier le cinéma et la vidéo.

Merci à Odile Duboc d’avoir constamment cherché et cherché pour ceux qui suivent et merci à Françoise Michel, la complice, l’amie, la suivante, le bras droit et le bras gauche, le bras supplémentaire, l’oeil et le coeur, l’autre et le double qui a travaillé à cette compilation nécessaire à tous.

Le DVD est bien venu, il apporte beaucoup pour voir Odile Duboc en action.

Les mots de la matière
D’Odile Duboc
Livre avec DVD, 2012
Éditions Les solitaires intempestifs
1, rue Gay Lussac 25000 Besançon
Téléphone : 03 81 81 00 22

www.solitairesintempestifs.com

 

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