Critique de Camille Hazard –
« Cymbeline » n’est pas une tragédie semblable aux autres pièces de Shakespeare telles que « Jules César », « le Roi Lear », ou « Macbeth », elle ne baigne pas dans le pessimisme le plus sombre. On y retrouve l’espoir consolateur, la réconciliation, les perspectives heureuses et le personnage principal appartient à une femme de la plus pure incarnation.
En choisissant comme titre « Le Roi Cymbeline », la metteur en scène Hélène Cinque met en valeur aussi bien le personnage du roi et du père que sa fille Imogène. Un choix qui interroge, sous forme de conte, la sphère du pouvoir, ses tromperies, ses abus et interroge également une paternité aveuglée.
Après la disparition de ses deux fils suivie de la mort de sa femme, le roi britannique Cymbeline, tombe sous le joug de sa nouvelle femme acariâtre qui ne songe qu’à offrir la couronne à son fils Cloten. Pour cela, il doit épouser la fille du roi Imogène. Mais l’amour vient contrer ces manigances : celle-ci vient de s’unir contre l’avis de tous à Posthumus : homme loyal, valeureux mais… pauvre. Eloignés l’un de l’autre par ordre du roi, les intrigues vont pouvoir battre leur plein contre ces deux amants…
Sous les traits d’un conte, nous partageons les voyages de personnages qui devront affronter maintes épreuves pour se retrouver et se laver de tous soupçons. Cette forme de récit initiatique est non sans rappeler d’autres chefs-d’œuvre littéraires comme « La Flûte Enchantée » ou « L’Illiade et l’Odyssée »
A travers l’écriture et la fabuleuse mise en scène d’Hélène Cinque, nous voyageons à travers toute l’œuvre de Shakespeare : Nous retrouvons le naufrage de « La Tempête », le travestissement de l’héroïne de « La Nuit des Rois », la bataille de « Jules César », l’amour passionnel de jeunesse de « Roméo et Juliette », la sorcellerie de « Macbeth » et bien sûr les elfes et autres créatures fantastiques chers à l’auteur.
Les diverses histoires qui peuplent cette pièce sont mises en lumière par des personnages rendus volontairement identifiables : La reine sortie tout droit de Blanche Neige, Cloten son fils, mi-bébé, mi-dictateur, une princesse aux couleurs de Gretel avec ses nattes blondes, des serviteurs qui endossent des costumes années cinquante… Le fil est mince ! Attention à ne pas tomber dans la caricature ! Mais nous suivons ce récit les yeux écarquillés devant ce flot de poésie, de burlesque et sous le poids du sens.
Car, si la forme ressemble à un conte pour enfant avec des décors oniriques, des éléments féériques et des personnages de dessins animés, le fond de la pièce, lui, nous attrape à la gorge. La mise en scène nous montre, avec une évidence déconcertante, l’universalité des hommes, leurs travers, leurs espoirs… Les spectateurs sont pris à parti entre le jeu identifiable des personnages grotesques, traduisant ainsi l’état universel de l’homme et des moments de jeu d’une sincérité jusqu’au-boutiste qui nous emmène dans l’intimité de notre âme. Ce va-et-vient de pensées et d’états d’âme nous tient émerveillés pendant toute la durée du spectacle (3h30). Comme un enfant, nous nous sentons à la fois très fort et à la fois très petit devant notre condition.
Sur scène, quasiment aucun décor, juste de la terre fraîche et un voile blanc dans le fond. C’est de cette terre que naîtront la plupart des questions fondamentales. Tous les personnages de la pièce sont en contact avec elle : Terre nourricière, dont nous sommes tous issus malgré nos différences, Terre propice à la lutte car d’elle vient l’idée même de propriété, Terre féconde qu’on laboure, Terre d’asile propice aux serments, Terre inchangeable qui nous renvoie au temps originel…
La musique tient également une grande place, elle intensifie les actions : « Le carnaval des animaux » de Saint Saëns endiable une préparation de potion magique, « Le Boléro » de Ravel grise l’apparition de la reine diabolique.
Des personnages symbolisant l’idée même du tragique, traversent le plateau, changent les décors et menacent par leur présence fantomatique ; vêtus de larges capes noires, ils guettent leur prochaine proie comme la Mort dans « Le Septième Sceau » de Bergman. Au moment du meurtre de Cloten, entourée de ces sombres figures, la musique sonne le glas : des grincements de cordes aigües transcendent l’agonie de l’homme tandis que les timbales retentissent sous le poids implacable du destin tragique.
Treize comédiens sur le plateau prennent un plaisir fou à jouer devant nous. Jeux intimes, cascades, combats, chasse… des jeux plein de couleurs et de profondeurs. Florian Westerhoff, qui interprète à la fois Cloten et posthumus, nous entraine dans sa folie douce ; on sent chez lui une imagination inépuisable et un contrôle de ses gestes quasi scientifique ! Emmanuelle Bourdier (Imogène) est autant touchante en personnage de princesse qu’en petit page aux cheveux hirsutes ! Son corps bien présent de comédienne ne la laisse pas tomber dans de fausses pâmoisons surfaites, elle vit sur scène avec toute sa sincérité.
Ah… ! Que c’est bon de se retrouver enfant le temps d’un spectacle, d’être émerveillé !
Le Roi Cymbeline
D’après : William Shakespeare
Par : la Compagnie l’Instant d’une Résonnance
Traduction et adaptation : Ariane Begoin
Mise en scène : Hélène Cinque
Assistante mise en scène : Johanna Krawczyk
Avec : Emmanuelle Bourdier, Paolo Crocco, Nicolas Fantoli, Pierre Ficheux, Isabelle Fruchart, Charles Gonon, Alain Khouani, Julien Maurel, Stéphane Otéro, Magali Song, Franck Saurel, Harold Savary, Florian Westerhoff
Création lumière : Victor Arancio
Création musique : Jo Zeugma
Création costumes : Gérard Eudaric
Création vidéo : Julien Nesme
Chorégraphies : Marie BarbottinDu 18 janvier au 20 février 2011
Théâtre du Soleil
Cartoucherie, Route du Champs de Manœuvre, 75012 Paris – Réservations 01 43 74 24 08
www.theatre-du-soleil.fr