© Jean-Louis Fernandez
ff article de Denis Sanglard
Au Théâtre du Peuple de Bussang, un Conte d’hiver au milieu de la chaleur de l’été, mise en scène par Julie Delille, toute nouvelle directrice de ce lieu ô combien toujours enchanteur.
Ce n’est pas la plus jouée des pièces de Shakespeare, une des dernières du barde de Stratford-Upon Avon, mais elle porte en elle en écho les traces des précédentes, concentrées là jusque dans ses contraires. Léontes et Hermione règnent sur la Sicile. Un premier enfant est né de leur mariage, Mamilius. Un second est attendu avec bonheur. Polixènes a pour royaume la Bohème, lequel est promis à son fils Florizel. Frère de cœurs les deux rois ont grandi ensemble. Réunis en Sicile pour de longues festivités, un geste innocent d’Hermione envers son hôte et ami, des mains qui se frôlent et s’étreignent, sème soudain le doute dans l’esprit de Léontes. La jalousie fait bientôt des ravages entraînant la fuite de Polixènes, l’arrestation de la reine, son nouveau-né -une petite fille- abandonné dans la nature, la mort de Mamilius. La folie de Léontes que ne calme pas l’oracle d’Apollon déclarant la reine innocente des soupçons de son mari, entraîne le spectacle de sa ruine malgré la conscience tardive de sa honteuse culpabilité. Seize ans plus tard, l’amour et l’innocence de deux enfants répareront la folie d’un roi.
Julie Delille a choisi la très concrète traduction et adaptation de Bernard-Marie Koltès. Non que la poésie n’y soit pas mais il y a quelque chose d’immédiat dans la compréhension de ce qui est énoncé là, sans fioriture ni affectation. Bernard-Marie Koltès sans rien édulcorer du sens profond et parfois de son mystère offre à cette pièce de Shakespeare une étonnante modernité dans son appréhension.
La mise en scène de Julie Delille, quasi littérale et un peu trop sage sans doute, qu’importe à vrai dire, joue avec intelligence avec ce lieu si particulier, aidée en cela par une scénographie réussie de Clémence Delille qui entre en belle résonnance avec ce lieu, accusant la dramaturgie. De vastes panneaux coulissants du même bois que cette architecture singulière, murs d’un palais en trompe l’œil, devenu labyrinthe mouvant qui enferment un roi dans sa folie irraisonnée, ayant perdu tout sens de la réalité. Un jeu de perspective mensongère et toujours faussée qui trompent les regards, obére le jugement, où le temps est comme distendu. Julie Delille dans cette partie crée une véritable atmosphère où suinte l’angoisse que renforce la composition musicale d’une grande finesse de Julien Lepreux, puissance dramaturgique infernale de l’orgue et de l’acousmatique, qui souligne sans jamais appuyer les nombreux soubresauts de ce conte.
Les murs disparaissent dans une seconde partie, les deux derniers actes, où les portes du fond du théâtre s’ouvrent, moment obligé toujours très attendu et suscitant à chaque fois des applaudissements, sur une fête villageoise en Bohème, belle scène champêtre et campagnarde où passent des moutons ( jusque dans la salle) et dansent les jeunes filles. Un plateau soudain baigné, irradié de lumière naturelle contrastant avec l’obscurité entre chien et loup d’une première partie dramatique où sourdait la peur. Moment suspendu, moments heureux et palpitant de vie, contrastant avec les trois premiers actes, mais qui ne résisteront pas, provisoirement, à la colère d’un père, Polixènes, devant l’apparente mésalliance de son fils résolu à épouser la bergère Perdita et ne se doutant pas qu’elle est la fille abandonnée de Léontes. Les portes se refermeront sur la volonté têtue de Florizel d’épouser Perdita, de leur fuite, et ne s’ouvriront que pour accueillir l’heureuse résolution de ce conte où l’amour triomphe étonnement de la mort.
Cette magnifique ouverture en grand vers l’extérieur n’est que l’affirmation pour Julie Delille d’une réconciliation entre nature et culture, une restauration des liens nécessaire au bonheur et à l’harmonie des hommes. Une vision et des préoccupations écologiques qui sont depuis toujours les axes de travail de cette metteuse en scène au sein de sa compagnie Le théâtre des trois Parques. « Saisonnalité, sensibilité et organicité ». Bussang par son implantation et son histoire, sa devise au fronton du manteau d’Arlequin « Par l‘art, pour l’humanité », c’est une évidence, ne peut que lui offrir le cadre idéal.
Julie Delille se refuse à la précipitation. Cette mise en scène prend parfois son temps, au risque d’un manque de rythme parfois (sans doute dû aussi à une première où tout n’est jamais encore posé) elle ose imposer des silences poisseux de leurs non-dits menaçants, des scènes muettes qui ne sont que menaces, annonciatrices du désastre. Si la mise en scène n’affirme aucun point de vue réel, jouant simplement de l’opposition entre nature et culture, entre réalité et mensonge, entre folie acre et raison gardée, c’est dans la direction des acteurs que Julie Delille trouve son meilleur point d’ancrage. S’articulant autour de la jalousie ravageuse de Léontes, moteur irrépressible de cette tragédie, ce sont les répercussions de celle-ci sur chacun qu’elle met en exergue et qui les oblige et meut différemment. La dignité dans la souffrance d’Hermione, la résistance de Paulina sa suivante, le courage Camillo le fidèle serviteur… S’appuyant sur une troupe où professionnels et amateurs avançant d’un même pas et qui offrent à leur personnage une vraie humanité loin de tout manichéisme. Baptiste Relat apporte à Léontes une blessure inattendue apportant à son personnage la profondeur tourmentée d’un amour blessé ne s’arrêtant pas juste à sa folie, victime enfin de sa propre tyrannie. Dans le double rôle d’Hermione et de Perdita, la composition de Laurence Cordier est si fascinante qu’on ne la reconnait que difficilement d’un rôle l’autre. Reine de tragédie bafouée dans son honneur, aux accents profondément dramatiques dans une première partie, elle donne à Perdita dans la seconde une fraîcheur et des accents purement ophéliens et solaires, Florizel n’étant pas Hamlet, jusque dans une distribution de fleurs à la symbolique troublante. Elise de Gaudemaris (Paulina) inscrit son personnage dans une fermeté de caractère, un héroïsme jusqu’à sa mise en danger. Curieux de constater que dans cette pièce les femmes, même victimes, sont les protagonistes les plus positives, les plus résolues . Shakespeare féministe ?
En toute logique c’est dans ce magnifique paysage où trône le hêtre totémique et centenaire que se conclue ce conte où, osons parodier Richard III, pour chacun l’hiver du déplaisir est changé en glorieux été.
© Jean-Louis Fernandez
Le Conte d’hiver, de William Shakespeare
Traduction de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène de Julie Delille
Dramaturgie : Alix-Fournier Pittaluga
Scénographie et costumes : Clémence Delille
Lumière : Elsa Revol
Musique : Julien Lepreux
Assistante à la mise en scène : Gwenaëlle Martin
Assistante scénographie et costumes : Elise Villatte
Régie générale : Pablo Roy
Avec : Laurence Cordier, Laurent Desponds, Elise de Gaudemaris, Baptiste Relat
Et les comédiens et comédiennes amateurs et permanents du Théâtre du peuple : Héloïse Barbat, Garance Chavanat, Véronique Damgé, Sophia Daniault-Djilali, Michel Lemaître, Gérard Levy, Valentin Merilhou, Jean-Marc Michels, Yvain Vitus, Alcyone Bénézit-Desbordes, Nicolas Brice, Marie Charton, Anna Dupleix-Marchal, Mailla Hattier, Philippe Voirot.
Avec la participation de François Oguet, Francis Schirck et Raoul , Margaux Zimmermann et des figurant.es
Avec la voix de Gaëlle Méchaly
Jusqu’au 31 août 2014
Du jeudi au dimanche à 15h
Durée : 3h, avec entracte.
Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher
40, rue du Théâtre
88540 Bussang
Réservation : 03 29 61 50 48
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