Critique de Camille Hazard et de Dashiell Donello –
« Le Conte d’hiver », l’une des dernières pièces de Shakespeare, a le label tragédie. Mais l’on pourrait parler plutôt de tragicomédies romanesques. Sa source vient de Robert Greene son vieil ennemi, (Tiens ! Tiens !), qui en fournit le sujet.
© Mario del Curto
Léontès, roi de Sicile, et Polixène, roi de Bohème, sont amis de naissance. Polixène, en visite chez ses amis, montre beaucoup de sympathie pour la reine. Léontès est soudainement pris d’une violente jalousie. Il soupçonne en effet sa femme Hermione d’avoir une relation adultère avec son ami d’enfance.
Lilo Baur aime visiblement les voyages, parle assurément plusieurs langues et improvise beaucoup. « Le Conte d’hiver », qu’elle met en scène au théâtre des Abbesses, s’ensuit d’un bric-à-brac théâtral obstiné. Si l’improvisation ne s’improvise pas au théâtre, la recherche théâtrale s’efface au profit du curriculum vitæ d’un metteur en scène trop visible sur le plateau. Sa fascination pour la pièce de Shakespeare lui a fait oublier que les trucs et recettes ne doivent pas se faire sentir lors de la représentation. Or, que voit-on ? Sa formation chez Lecoq : l’improvisation avec des moutons pour la scène pastorale, le balancement d’un pied à l’autre pour figurer le temps, les manteaux que l’on secoue pour signifier la tempête etc. Mais peut-être qu’elle ne s’est pas encore assez remise (cela peut se comprendre) de son assistanat avec Peter Brook : les paravents qui glissent sur scène pour faire apparaître et disparaître les personnages, le tapis pour représenter un autre lieu, le plein feu pour faire jouer le public, une troupe internationale etc. Visiblement le cordon de cette rencontre remarquable n’est pas encore coupé.
Lilo Baur nous dit : « J’ai réuni l’équipe de Conte d’hiver après avoir travaillé en Grèce, en Italie et en Suisse où j’ai rencontré quelques-uns des acteurs qui la constituent. J’ai choisi les autres au cours d’un stage que j’ai donné à Paris. » C’est justement le hic. On a l’impression que ce stage s’est invité sur scène et nous a éloigné de cette merveilleuse pièce de Shakespeare.
Un conte décomposé et recomposé.
Lilo Baur renforce l’idée du conte dans cette pièce de Shakespeare : utilisation du merveilleux, rappel du monde de l’enfance à travers les costumes, le jeu des acteurs et transformation du héros après épreuves. C’est un conte qui évite de justesse sa fin tragique (à la différence d’ « Othello »); « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », devient dans le cas de Léontès, roi de Sicile, » Il retrouva femme et enfants après les avoir perdu dans une jalousie destructrice »… Car il s’agit bien de ça, de la jalousie et de ce qu’elle provoque. La notion même de jalousie entraîne des états, des ressentis et des décisions extrêmes. Comme le dit Lilo Baur: « Lorsqu’une personne tombe amoureuse ou est jalouse, tout semble possible, réel, et les émotions font place à une grande imagination. » Pourtant, dans sa mise en scène, on peine à entrevoir l’invisible qui s’opère chez les personnages, victimes de ce raz de marée de jalousie. Mais la vague qui devrait déferler sur le plateau n’arrive que par succession de timides vaguelettes. Tout est en demi-teinte, fade et les personnages évoluent sans contour définit comme si on les avait peint en aquarelle. C’est une réelle déception, lorsqu’on connait la richesse, les couleurs du texte, et la brillante traduction de Bernard-Marie Koltès. Celui-ci extirpe chaque sentiment intérieur des personnages (jalousie, colère, impuissance, amour, injustice…) pour les plonger en lumière dans un langage parfois archaïque et qui ne materne jamais les sentiments. Ce n’est pas le cas de la mise en scène, qui, a-t-on l’impression, préserve l’état de ses protagonistes et reste très polie avec des sentiments qui devraient déchaîner les foudres ! Les situations sont noyées dans des extrapolations, on a souvent l’impression d’assister à un spectacle-patchwork, où les scènes et les tableaux se suivent sans grande cohérence. On perd de vue la ligne narrative et ce déballage d’idées, de moments musicaux, de blagues comiques attendues, nous éloignent de l’intrigue et de Shakespeare ! Les bonnes idées qui parsèment la mise en scène et la scénographie n’arrivent malheureusement pas à sauver un ensemble fort ennuyeux. Seul le comédien Gabriel Chamé Buendia interprétant plusieurs rôles (dont le fils du roi de Sicile) dans différents registres, sort son épingle du jeu, lui seul va au bout d’un jeu sans retenue, affranchi de tout bienséance… Il arrive à se dégager d’une mise en scène frileuse et nous transmet beaucoup de plaisir.
Le Conte d’Hiver
De : William Shakespeare
Traduction : Bernard-Marie Koltès
Mise en scène : Lilo Baur
Concept et scénographie : Lilo Baur et James Humphrey
Avec : Hélène Cattin, Gabriel Chamé Buendia, Ludovique Chazaud, Pascal Dujour, Mich Ochowiak, Marie Payen, Kostas Philippoglou, Ximo Salano et Gaia Termopoli
Assistante à la mise en scène : Clara Bauer
Costumes : Agnès Falque
Lumières : Nicolas Widmer
Musique : Mich Ochowiak
Training : Chris Gandois
Répétiteur : Peter Chase
Régie Générale : Anton Feuillette
Régie lumière : Nicolas Widmer
Régie son : François Planson
Assistant plateau : Mathieu DorsazDu 29 mars au 9 avril 2011
Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses, 75 018 Paris – Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com