Critique de Camille Hazard –
La 7éme édition du festival le standard idéal à la MC 93 de Bobigny se termine cette année dans un moment de grâce.
Karin Beier, metteur en scène allemande, qui assure habituellement la direction du Schauspiel de Cologne, propose une mise en scène de La Toison d’or, de Franz Grillparzer, tout à fait remarquable. Cette pièce est la troisième de son auteur, après die Ahnfau (l’aïeule) et Sappho.
A la lecture, on est d’abord frappé par la modernité de l’écriture et de ses propos, or cette pièce date de 1821 !
F. Grillparzer reprend l’histoire de Médée et de la toison d’or si connue, en lui ajoutant des sens, des perceptions personnelles : il montre toute sa conscience de la vanité des actions humaines, du bonheur comme de la gloire. Il étudie dans les moindres détails le thème du regard et de l’image ; l’image que l’on a de soi, celle que l’on aimerait donner et enfin celle que les autres perçoivent de nous. Comment changer ces images, comment dans un simple regard on imagine toute la personnalité de quelqu’un, comment ces images, ces perceptions que nous avons de l’Autre peuvent le détruire , qu’elles en sont les conséquences ? Dans la pièce, il s’agit de Médée bien-sûr, mais aussi de tous les personnages…Là est toute la tragédie de cette œuvre.
On retrouve tous les éléments classiques de la tragédie : Le destin qui s’abat inévitablement sur Médée et Jason, Aiétès, Créon, les enfants de Médée…La catharsis qui touche à la fin pleinement Médée, un violoncelle qui accompagne les scènes sous forme de chœur, les dialogues qui alternent terreur et pitié, enfin dans la dernière partie de la pièce, l’exodos, le chœur (le violoncelle) quitte la scène. Les fervents défenseurs de la tragédie classique seront donc vivement enthousiasmés.
Une pièce en trois tableaux et en trois époques
Lors de la première époque, le roi de Colchide et père de Médée, Aiétès vole la toison d’or à Phrixos, un grec venu lui demander l’asile, et le tue ; une malédiction s’abat sur tous les cholchidiens et sur Médée.
Deuxième époque, Jason et les argonautes accostent sur l’île de Colchide afin de récupérer la toison d’or. Médée tombe éperdument amoureuse de Jason et lui offre son aide dans sa quête au point de sacrifier à sa passion, sa famille et la société à laquelle elle appartient. Tous deux s’enfuient avec la toison d’or.
Dans la troisième partie, après avoir erré plusieurs années en Grèce, Créon, roi de Corinthe, offre au couple et à leurs deux garçons une hospitalité plus que glaciale. Médée est coupable au yeux des grecs : coupable d’être étrangère, donc d’être sauvage, d’appartenir à la sorcellerie car elle a quelques dons en potions, on l’accuse de meurtre. Jason fatigué par ces années d’errance et par sa mise à l’écart de sa famille et de son propre peuple, se détache de Médée jusqu’à la haïr. Il l’abandonne au profit d’une autre précipitant la catastrophe inévitable : l’infanticide de Médée.
Des personnages qui s’affrontent sur un ring.
La mise en scène de Karin Beier est implacable et rigoureuse.
Au centre de la scène, une grande estrade carrée et blanche, à ses quatre coins, quatre chaises avec des bouteilles d’eau. Ce sera l’espace de jeu des comédiens qui rappelle un ring de boxe, chacun entre lorsque l’intrigue lui commande de s’exprimer, de s’affronter, de dialoguer puis, la scène finie, chacun sort et redevient spectateur. Cet espace de jeu symbolise également différents lieux au fil des tableaux : l’île de Colchide, le palais de Créon.
La cage de scène, suspendue au dessus de l’estrade, donne à plusieurs reprises l’idée de cage animalière enfermant les protagonistes dans leur malédiction.
Lors de la première époque, les personnages portent des énormes masques plats aux allures de dessins d’enfants, simples et naïfs. Le jeu qui s’en suit est remarquable dans le corps ; tantôt terrifiant, tantôt clownesque, démesuré, et dans l’intention de jeu des comédiens ; l’intrigue nous est présentée par ces quatre personnages masqués qui déclament leur texte tragique avec une justesse étonnante, ils sont à la fois protagonistes et chœur antique.
Dans la deuxième époque, on quitte l’univers antique pour un jeu et une mise en scène intemporelle, rien ne permet, ni dans les costumes, ni dans le jeu de discerner un temps donné, cela crée une force supplémentaire au personnage de Médée. Elle est présentée comme une simple femme au foyer vivant à n’importe quelle époque, dans son quotidien morose, élevant ses enfants avec difficulté, se battant pour garder un époux qui ne veut plus d’elle…La figure mythique et royale de Médée devient l’histoire courante d’une femme anéantie par les aléas de la vie. On ne peut qu’être touchée par sa douleur et sa violence.
Le jeu de tous les comédiens est tenu avec force, chaque geste est pensé, calculé, et ressenti, nous permettant ainsi de voyager avec les personnages dans les fins fonds de l’âme humaine, dans notre noirceur, dans notre volonté de lutter contre nous même.
A la fin de la pièce le public respirait dans un même rythme, celui d’un grand spectacle qui venait de se dérouler sous nos yeux.
La Toison D’or
L’invité, Les Argonautes, Médée
(Das Goldenes Vlies
Der Gastfreund, Die Argonauten, Medea)
– Allemand surtitré –
Texte : Franz Grillparzer
Mise en scène : Karin Beier
Avec : Carlo Ljubek, Maria Schrader, Manfred Zapatka, Patrycia Ziolkowska et Sue Schlotte pour le violoncelle,
Scénographie : Jens Kilian
Costumes : Johanna Pfau
Musique : Wolfgang Siuda
Chorégraphie : Valenti Rocamora I Tora
Lumières : Johan Delaere
Dramaturgie : Rita ThieleLes 18 et 19 février 2010
Dans le cadre du festival Le Standard IdéalMC 93 Bobigny
1 boulevard Lénine, 93 000 Bobigny
www.mc93.com