Critiques // Critique • « La Mouette » de Tchekhov mis en scène par Christian Benedetti

Critique • « La Mouette » de Tchekhov mis en scène par Christian Benedetti

Mar 09, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « La Mouette » de Tchekhov mis en scène par Christian Benedetti

Critique  d’Anne-Marie Watelet et de Camille Hazard

« Je suis si fatiguée. Il faudrait se reposer… se reposer ! Je suis une mouette… Ce n’est pas cela… je suis une actrice… Mais oui lui aussi [Trigorine] est ici ! Il ne croyait pas au théâtre, il se moquait toujours de mes rêves ; et moi j’ai cessé également d’y croire… »
Nina

Les choses sont claires. Cette pièce est celle qui se caractérise le plus, chez Tchekhov, par l’absence d’unité d’action, d’histoire, réaliste ou non. Plutôt des instants, des moments dramatiques révélés par des dialogues ténus, dont le thème récurrent est la création artistique.

Un jeune dramaturge, Treplev, vient d’écrire une pièce que va interpréter Nina, jeune ingénue dont il est amoureux. Cette pièce, ainsi que la nôtre d’ailleurs, va se jouer dans la propriété de Sorine, sexagénaire amer de n’avoir pas su réaliser ses désirs jusque-là, et qui affirme, lui, contre le docteur et sa sœur surtout, sa volonté de rattraper le temps perdu. Présents également : Irina, sœur de Sorine et mère de Treplev, une actrice renommée, qui vit – au diable les conventions sociales ! – avec son amant Trigorine, un écrivain à succès; Dorn, le docteur,  que plus rien n’étonne, se contente de vivre le blues du présent ; Pauline et sa fille Macha, dont l’amour fou, mais sans espoir, pour Treplev, lui fera épouser le maître d’école.

Au fil des dialogues, on découvre des personnages qui s’éloignent d’eux-mêmes, et courent inexorablement à leur perte. Et pourtant…

Pourtant, nous sommes pris d’espoir à entendre certaines conversations émaillées d’humour et de rêves. Pure illusion ! La chute se fait attendre subtilement et de façon réaliste : celle de Treplev, dépressif : son indécision sur le plan artistique va le perdre (velléités de renouveau dans les formes d’écriture), et sa pièce, dès le début, se solde par un échec. Il prône une esthétique décadente, à la sensibilité onirique et symboliste – celle qui apparaît en Europe en cette fin de siècle – et méprise celle que revendique Trigorine, la copie du réel. Il finira par déchirer son manuscrit avant de disparaître. Ce Trigorine, qui, malgré son succès, redoute avec raison la comparaison avec les grands Maîtres russes, et ne se sent pas à la hauteur de sa vocation.

Ce que l’on ressent chez ces êtres, c’est la peur de la mort, la mort qui rôde au fond de leur âme, tel un chien blessé que rien n’apaisera, faute de pouvoir agir et avancer.

Des idées mises en corps

Le metteur en scène, Christian Benedetti,  “revisite” cette pièce, qu’il avait déjà monté en 1980, il incarne une nouvelle fois le personnage de l’écrivain Trigorine.
Il extirpe les idées du texte de Tchekhov et leur donne chair à travers les personnages, on assiste à un processus inversé : les personnages ne vivent pas sur le plateau en incarnant la pensée de l’auteur, ce sont bien les pensées qui vivent à travers un corps. De ce fait, on assiste parfois à des échanges intellectuels dans lesquelles la vie semble éteinte.

Pas de décors, juste quelques accessoires nécessaires à l’action, pas de costume, pas de repère temporel ni spatial, les personnages flottent dans un univers vague. Ce parti pris de mise en scène crée chez les spectateurs un effet de distanciation. Effet accentué par des arrêts sur image : les scènes sont entrecoupées de pauses comme si l’on prenait en photo les regards des personnages, leurs expressions. Temps furtifs où l’on peut digérer les idées denses qui imprègnent les dialogues mais manquant de repère et d’univers, nous avons du mal à nous identifier aux personnages.

Christian Benedetti donne à sa mise en scène un aspect didactique ; on suit, on comprend,  mais on s’ennuie un peu… Si Cette œuvre de Tchekhov ne déroge pas à la règle est que le pessimisme le plus noir prend ses quartiers tout au long de la pièce, les personnages ont, par moments, des sursauts de vie, un besoin de se faire violence, une rage foudroyante. Mais ici (mise à part l’excellente comédienne Brigitte Barilley) cette rage se transforme plutôt en trémolo et les quelques moments d’espoir où tout pourrait basculer deviennent sans vie, en demi-teinte. Le côté didactique est pourtant intéressant : il renforce le côté exacerbé de ses personnages emblématiques. Mais pourquoi déshabiller cette pièce de tout repère ?

Les acteurs tiennent tous leur partition avec finesse ; Christian Benedetti dans le rôle de Trigorine est tout en retenue, aussi brillant que fatigué et désabusé. Brigitte Barilley incarne une mère dévorante qui irait certainement jusqu’au meurtre pour protéger son image de femme épanouie à qui tout réussit. Sa famille et ses amis deviennent des proies. Elle tourbillonne sur scène avec fièvre et rage ; c’est là que le désespoir le plus sombre se fait sentir, malgré son sourire infatigable…
Anamaria Marinca (Nina) impose un naturel touchant et évident. Lorsqu’elle revient dans la propriété de Sorine après quelques années d’absence, la figure de la mouette s’est ancrée dans son corps : les cheveux ruisselant de pluie, elle se pose, vole, se cogne.

Une mise en scène qui nous imbibe d’idées, où l’on reçoit parfaitement les propos denses de Tchekhov sur la nature humaine et sur la création mais le manque d’atmosphère et d’univers fait défaut : nous avons beaucoup entendu à défaut de voir et de sentir.

La Mouette
De : Anton Tchékhov
Mise en scène : Christian Benedetti
Traduction : André Markowicz et Françoise Morvan
Avec : Brigitte Barilley, Marie-Laudes Emond, Anamaria Marinca, Nina Renaux, Chriqtian Benedetti, Christophe Caustier, Philippe Crubézi, Laurent Huon, Xavier Legrand et Jean-Pierre Moulin.
Assistant à la mise en scène : Christophe Carotenuto
Lumière : Dominique Fortin

Du 28 février au 2 avril 2011
Reprise du 14 novembre au 10 décembre 2011
Du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 16h et 19h30

Théâtre Studio
16 rue Marcelin Berthelot, 94 140 Alfortville – Réservations 01 43 76 86 56
www.theatre-studio.com

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