Critique de Camille Hazard –
« L’art est un mensonge qui permet de dévoiler la vérité »
Voilà ce que Disait Pablo Picasso
Dans le nouveau spectacle de Pippo Delbono, La Menzogna, il conviendrait plutôt de conclure que « l’art est un mensonge qui permet de révéler le mensonge » !
Voilà la grande thématique de cette nouvelle création : le Mensonge dans tous ses états.
Artiste engagé, admirateur de P.P.Pasolini et de F.G.Lorca, Delbono nous avait habitué à des spectacles de très grande qualité ; autant dans la forme que dans le fond, traitant de thèmes fondamentaux et universels comme le pouvoir, la domination, la dictature, la guerre, l’enfermement, l’obscurité, l’exode, l’image que l’on renvoie et que l’on perçoit… Sa troupe, constituée d’acteurs professionnels, prodigieux dans le corps et dans la voix, ainsi que de Bobò, un sourd, muet, microcéphale resté 50 ans dans un hôpital psychiatrique et Gianluca, un trisomique, offre une technicité en même temps qu’une vérité sur scène saisissante !
La magie de ces spectacles résidait dans la force de ses propos et dans la facilité à les appréhender ; conduits sous forme de tableaux, les prises de consciences, les questions amenées sur scène nous arrivaient en plein visage, sans que l’on puisse s’y dérober. Comme si une main paternelle et généreuse nous ouvrait les yeux, les oreilles et que nous, enfants, restions bouche bée devant ces spectacles illuminés d’horreur et de poésie.
Quelles furent donc la surprise et la déception en voyant La Menzogna. Pippo Delbono, ne pose plus de questions, il affirme des propos pour le moins démagogiques, comme pour n’en citer qu’un, mais qui est de taille : Les riches sont méchants, les pauvres sont gentils !
Incendie ravageur
Le spectacle tourne donc autour du Mensonge : le mensonge des médias, le mensonge des politiciens, le mensonge de l’église, le mensonge du spectacle, le mensonge que l’on porte en nous…
À la fin du spectacle, P.Delbono se présente face à nous, entièrement nu, pour s’excuser du mensonge qui réside dans sa représentation artistique.
Le point de départ de ce travail est l’accident survenu à l’usine Thyssen Krupp de Turin l’année dernière ; la vétusté des machines a déclenché un incendie, provoquant la mort de sept ouvriers.
Tous les médias se sont précipités sur le lieu du drame, diffusant des images de familles de victimes qui pleuraient et hurlaient dans les décombres. « Du pathétique pris en sandwich entre deux publicités » comme le dit P.Delbono.
On demande aux gens de s’apitoyer sur ces images, mais personne ne s’intéresse à la question : Comment aurait on pu éviter ce drame ?
Dans le cas de l’usine Thyssen Krupp, il aurait suffit de mettre aux normes quelques machines pour préserver des vies humaines !
Mise en scène
Une partie de l’usine est reproduite sur scène : échafaudages, rampes, casiers pour les affaires des ouvriers, grillages… Le tout ordonné méticuleusement.
Le spectacle commence ; quelques ouvriers arrivent, se changent, partent travailler. Aucun personnage ne parle, le temps est étiré, on a le sentiment que quelque chose de fort se prépare…Mais rien n’arrive, la tension retombe. Sur ce, P.Delbono lance au public « Messieurs dames, nous allons faire une petite pause, restez assis ».
Mais nous aurions souhaité tout simplement qu’il commence !
La représentation reprend ; une soirée entre riches patrons, femmes débridées, curés corrompus. Delbono, tour à tour, leur donne la parole : ils vocifèrent, aboient, hurlent comme des furies sorties tout droit de l’enfer. À la fin de cette soirée, le metteur en scène appuie le trait en exposant Gianluca nu avec des colliers de perles, chantant et dansant.
Nous avons eu des images fortes d’autres spectacles où Gianluca égayait la scène par sa fraîcheur ; là nous chavirons entre le voyeurisme et la pitié tant sa nudité est gratuite.
Puis l’incendie se déclenche dans l’usine, quelques corps nus d’acteurs tentent d’illustrer la douleur des flammes, mais là encore : simple amorce, rien ne nous atteint, ni l’angoisse, ni la douleur, ni la mort.
Au fil des tableaux, Gianluca et Bobò arpentent la scène tour à tour, l’un miaulant délicatement, l’autre sourd et muet.
Puis la fin du spectacle arrive, Delbono se déshabille face à nous, s’excuse puis se couche dans le fond de la scène. Bobò revient, marche pendant que la voix du maître de cérémonie (P.Delbono ) s’élève nous confiant : « Parfois j’aimerai être comme Bobò sourd, muet, microcéphale et être pure » Dans cette phrase il semble complètement nier la vie qui lui a été donné et se montre bien égocentrique !
Le spectacle est fini.
On aura attendu les émotions, les éléments perturbateurs, le jeu…En vain.
Le corps des acteurs n’est cette fois pas exploité, Delbono reprend des éléments communs à ses précédents spectacles (la lampe de poche qui éclaire le public, les hurlements déchaînés, les corps nus…) mais avec la plus parfaite gratuité.
La scénographie de Claude Santerre est minutieuse et esthétique, mais ne reste qu’une enveloppe vide.
Nous attendons la prochaine création de Pippo Delbono avec impatience et voulons croire que La Menzogna restera à part dans son œuvre.
La Menzogna
Idée et mise en scène : Pippo Delbono
Avec : Dolly Albertin, Gianluca Ballaré, Raffaella Banchelli, Bobò, Julia Morawietz, Pippo Delbono, Lucia della Ferrera, Ilaria Distante, Claudio Gasparotto, Gustavo Giacosa, Simone Goggiano, Mario Intruglio, Nelson Lariccia, Gianni Parenti, Mr. Puma, Pepe Robledo, Antonella de Sarno, Grazia Spinella
Scénographie : Claude Santerre
Lumières : Robert John Restinghini
Costumes : Antonella Cannarozzi
Organisation : Christian Leblanc et Emilia Romagna TeatroDu 20 janvier au 6 février 2010
Théâtre du Rond-Point
2 bis rue D.Franklin Roosevelt, 75 008 Paris
www.theatredurondpoint.fr