Critique de Camille Hazard–
Le huis clos étouffant et sordide d’une famille en fin de vie.
L’auteur Lee Hall reprend des personnages clés de son monologue « Face de cuillère » dans sa pièce, écrite en 1999, « La cuisine d’Elvis » : une enfant un peu perdue au physique étrange, candide et lucide, une mère alcoolique pour fuir ses responsabilités, son quotidien morose et un père tétraplégique qui est là, mais qui n’est plus là…Une famille, une foire aux monstres ?
C’est Jilian, la fille qui nous guide à travers cette exubérance de symptômes humains, de pathologies malsaines : Elle annonce et présente le spectacle scène après scène en étant parfois provocatrice, parfois désabusée, triste, survoltée…Elle accompagne ses mots en agitant une lampe de poche de couleur rouge qui nous renvoie à son univers infernal.
Des tableaux de vie de famille vont alors se succéder : Une mère qui ne supporte plus la vision léthargique de son mari et qui fait venir chez elle un homme rencontré par hasard dans un pub, des discussions entre mère et fille qui ne laissent place qu’à de l’incompréhension, les névroses de cette mère alcoolique et anorexique, une relation qui se noue entre l’amant de la mère et Jilian, les interventions du père qui se lève de sa chaise roulante en nous livrant sa passion pour Elvis Presley…Les dialogues sont extrêmement crus, souvent à la limite de la vulgarité : l’amant dit à Jilian :« J’ai branlé ton père, il fallait bien que quelqu’un le fasse ! », Jilian à sa mère : « T’as qu’à te masturber », on assiste à une copulation entre l’amant de la mère et Jilian, celle-ci s’activant pendant qu’elle parle à son père absent…
On assiste bien à la perdition d’une famille rongée par les excès et le mal de vivre ! Toutes les actions se passent côté cuisine : celle-ci est construite sous forme d’un décor de sitcom, coupé à mi-hauteur avec une cage de lumières apparente, des éléments sont peints à même le mur, d’autres comme l’étagère, la table à manger ou encore les plaques de cuisson existent réellement sur le plateau et sont utilisés au fil des actions. Dans le fond de scène, la photographie d’un paquebot, que l’on suppose être le Titanic, annonce la chute vertigineuse de cette famille vers les abîmes.
L’aspect tragique et noir de ce texte se perd dans la provocation obscène !
Le metteur en scène Régis Mardon a souhaité que « cette tragédie soit servie sur un lit de comédie » en alliant provocation et vulgarité. Le mélange forme une ambiance et un propos indistincts : Les scènes choquantes et les dialogues vulgaires ne vont pas assez loin pour porter l’aspect tragique du propos, ni pour mettre réellement mal à l’aise, mais ils sont trop appuyés et trop récurrents pour que l’on s’en amuse. Les acteurs sont convaincants, toujours justes dans ce langage quotidien et réaliste. Anne Puisais, la comédienne qui interprète Jilian, joue une enfant tantôt mature, tantôt capricieuse ou hystérique avec beaucoup d’originalité et de ruptures. Benoît Thévenoz interprète un amant niais, gentil en apportant beaucoup d’humour dans les scènes.
Cette pièce qui aurait pu être une véritable tragédie avec des moments comiques (ces deux éléments sont compatibles !), est présentée plutôt comme une comédie cynique et distrayante.
Un véritable choix artistique ?
La Cuisine d’Elvis
De : Lee Hall
Traduction : Frédérique Revuz, Louis-CharlesSirjack (L’Arche)
Mise en scène : Régis Mardon
Avec : Alexandra Bensimon, Eric Desré, Anne Puisais, Benoît Thévenoz
Lumières : Thomas Jacquemart
Scénographie : Marion Thelma
Costumes : Louise-Alice Véret
Assistante à la mise en scène : Laurence PorteilDu 11 mai au 19 juin 2010
Théâtre des Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris
www.lesdechargeurs.fr