Critique de Camille Hazard –
Entre la Nouvelle Inquisition (1478-84) et le départ de Christophe Colomb (1484) pour une expédition vers l’Ouest, La Célestine, ou la tragi-comédie de Calixte et Mélibée de Fernando De Rojas, voit le jour en 1499.
La vielle tenancière d’un bordel de Barcelone existe dans un paysage culturel en pleine mutation politique, économique et religieuse. Le siècle d’or espagnol est amorcé et avec lui une période de rayonnement culturel de l’Espagne en Europe dès le XVIIe siècle. Antonio Diaz-Floriàn en assure le prolongement dans sa mise en scène de La Celestina au théâtre de l’épée de Bois, ayant choisi la salle studio, toute vêtue de bois, pour accueillir le public dans le lupanar de la vieille édentée. Le lieu respire la vie, les secrets, l’histoire, la grande Histoire, celle à la fois racontée et vécue par les comédiennes. Des images du Siècle d’or espagnol nous parviennent et avec elles toutes la complexité de ses enjeux et conséquences sur la population. Le public est installé dans le narthex d’un lieu à la fois profane et religieux, les comédiennes investissent la nef centrale de leur édifice éclairé de part et d’autre, par d’immenses candélabres produisant un clair-obscur aussi reposant qu’inquiétant. Des figures singulières s’en échappent comme dans un tableaux du Greco (1541-1614) et des dessins macabres do Goya (1748-1828). L’esthétique d’ensemble est aussi fascinant qu’intrigant et dégage une émotion forte, celle de l’Espagne qui perdure bien au-delà de ses frontières et quelque soit l’époque.
Sempronio : Tu n’es donc pas chrétien ?
Calixte : Moi, chrétien ? Je suis mélibéen, j’adore Mélibée, je crois en Mélibée, et j’aime Mélibée.
En signant l’adaptation de cette œuvre, Antonio Dìaz-Floriàn prend le parti de ne garder que l’essence du texte pour mieux mettre en lumière les propos de l’auteur. Comment l’appât du gain et l’extrémisme religieux avec ses interdits, ses morales, peuvent anéantir toute liberté et les instincts les plus simples, les plus naturels, comme l’amour. Ces dénonciations, que clame l’auteur, résonnent en nous et nous ne pouvons nous empêcher de les transposer à notre époque, à notre manière : l’argent provoque toujours des actes de folie, des absences de jugement, des duperies, la mise en péril des plus faibles… La religion, bien que moins virulente actuellement en Espagne ou en France, garde ses mêmes codes, ses morales dans bien des pays et se dresse parfois en meurtrière de l’âme et des corps.
Enfin, devant les actions fielleuses de la vieille entremetteuse barbue « la Célestine » on peut aisément faire le rapprochement avec toutes les techniques artificielles inventées afin de trouver l’âme sœur… La forme courte et resserrée de cette œuvre permet de ne pas se perdre dans les méandres d’une histoire à tiroirs mais bien de se focaliser sur l’engagement de l’auteur et du metteur en scène. Dans cette nef, coupée du monde, les quatre comédiennes alternent les moments comiques avec des pointes de tragique ; vêtues de costumes à la Don Quichotte, elles interprètent plusieurs rôles et mettent l’histoire en abîme avec des poupées de paille qu’elles manipulent au gré de leur jeu : tantôt conteuses, témoins, bourreaux, actrices de leur propre jeu, elles emmènent le spectateur face à la question de la représentation sur scène.
Aller à l’essentiel du propos tout en prenant le temps de raconter une histoire, plusieurs histoires, avec différents registres qui nous font naviguer entre le comique et le tragique, dans une forme légère aux allusions lourdes de sens, voilà ce que nous offre Antonio Dìaz-Floriàn et sa troupe de comédiennes.
La Celestina
De : Fernando de Rojas
Adaptation et mise en scène : Antonio Dìaz-Floriàn
Avec : Graziella Lacagnina, Pilar Valdivia Torres, Diana Zurita et Sandrine Vicente
Costumes : Abel Alba
Scénographie : David Leon
Lumières : Quique PénaDu 7 au 31 octobre 2010
Théâtre de l’épée de Bois
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75 012 Paris
www.epeedebois.com