Critique de Camille Hazard –

Irina Brook ou comment toucher du doigt le merveilleux !

C’est dans les années 70 qu’Irina Brook fait la connaissance de Peter Pan dans un théâtre à Londres. Depuis ce jour, bercée par l’univers de l’enfance, le théâtre de Shakespeare, les mises en scène de son père… Elle n’aura cesse de vouloir « un jour » faire vivre sur scène, ce personnage fantasque et fascinant. A présent, voilà qui est chose faite au Théâtre de Paris, à l’occasion d’une carte blanche qui lui est consacrée (avec « En attendant le songe » d’après Shakespeare…).
Son Pan est de milles couleurs, de mille adresses et pirouettes !
Dans sa mise en scène, nulle volonté de scruter l’œuvre avec des yeux de psychologue. Ni le syndrôme de Pan, ni les allégations proférées par psychiatres et psychanalistes ne l’intéressent ! Irina Brook souhaite seulement qu’on laisse notre arsenal d’adulte sous les sièges de velours rouge et que tous nos sens s’envolent avec ces enfants.
Tout en restant fidèle à l’histoire et à l’univers de J.M. Barrie, Irina Brook prend le risque de créer une profusion de genres sur la scène: association de jazz-blues, music pop “rose bonbon”, cabaret, accrobaties, cirque, danses indiennes ; le tout chanté, crié, dansé, gesticulé par quatorze comédiens venus de tous les coins du monde : un pays imaginaire vierge d’accueillir toutes les cultures…
Et, comme n’importe quel metteur en scène mettrait un peu de sa vie, de son quotidien dans ses pièces de théâtre, Irina Brook, elle, parsème le spectacle de quelques touches de sa réalité propre, de quelques gouttes de ses pensées quotidiennes : William Shakespeare. Des références, des tirades, des personnages shakespeariens s’invitent au milieu des pirates, de Wendy et de la fée Clochette.
Les univers se mêlent ; tant pis pour la différence d’époque, tant pis pour la langue, Shakespeare et Barrie se retrouvent dans ce mélange de douceur et de violence, d’enfance et de crauté, de bouffonneries poétiques, de grossiertés criardes,de princesses et de fées !

Un grand terrain de jeu où flibustiers et enfants perdus vont pouvoir jouer à la guerre, à la magie et à l’amour…

Sur le plateau, un fatras d’accessoires, des bouts de décors évocateurs : proue d’un bateau de pirate, sable, petit manège d’un temps révolu, planches de bois, costumes laissés à vue. Irina Brook, dans une grande sensibilité et une maîtrise indéniable de la mise en scène, parvient, bien sûr à nous présenter un conte, mais surtout à nous le faire vivre ! Nous ne voyons pas Wendy, son frère et Pan s’envoler, nous croyons à ce moment-là, qu’il est possible de voler ! Les visages un peu fatigués, un peu tendus, interloqués des spectateurs, se détendent peu à peu, laissant place à des sourires malicieux, des yeux écarquillés et un corps qui tend tout entier vers la scène.
Avec la volonté de créer un spectacle très coloré, mouvementé, chorégraphié, rythmé par des acrobaties, des pas de danse, des chansons… Irina Brook apparaît comme la meneuse de revue d’un grand cirque des possibles. Chaque comédien, sans qu’on s’y attende, nous offrira à un moment du spectacle, son numéro : sorte d’intermède, de bouffée d’air avant de replonger dans le monde de nos dernières peurs, de nos derniers rêves d’enfant …
Cette création nous offre l’incroyable pouvoir de remonter le temps, de se revivre enfant face à la magie et à la grâce déployée sur scène.
Comme il est bon de savoir que nous ne n’enterrons jamais complétement notre enfance et que parfois, grâce à des artistes comme Irina Brook, une petite voix résonne encore en nous …

Pan
De : J.M. Barrie
Mise en scène : Irina Brook
Avec : Louison Lelarge, Babet, Nunot Roque, Lorie Baghdassarian, Johanna Hilaire, Georges Corraface, Gen Shimaoka, Diego Asensio, Pedro Teixeira, Keny Bran Ourega, Taiwo Awaiye, Kehinde Awaiye, Raphael Leguillon, Dimitri Lemaire
Collaboration artistique : Laurent Courtin
Création musicale : Sadie Jemmett
Chorégraphie : Farid Ayelem Rahmouni
Décor : Noëlle Ginefri
Lumières : Arnaud Jung
Costumes : Magali Castellan
Assistant artistique : Christopher Adams
Vidéo : Carole Nouchi et Fabrice Natario

Du 12 mai au 10 juillet 2011

Théâtre de Paris
15 rue Blanche, Paris 9e – Réservations 01 48 74 25 37
www.theatredeparis.com

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