Critiques // « Fin de Partie » de Samuel Beckett au Théâtre de la Madeleine

« Fin de Partie » de Samuel Beckett au Théâtre de la Madeleine

Mai 14, 2011 | Un commentaire sur « Fin de Partie » de Samuel Beckett au Théâtre de la Madeleine

Critique de Rachelle Dhéry

« – Qu’est-ce qui se passe ?, demande Hamm.
– Quelque chose suit son cours, répond Clov
– Il est temps que cela finisse, mais cependant, j’hésite encore à finir », Hamm

Hamm (Serge Merlin) est vieux, irritable, usé, aveugle, et en chaise roulante. Ses parents, tous deux culs-de-jatte, mélange d’humour, de douceur et d’amour, vivent côte à côte, dans deux poubelles. Seul Clov (Jean-Quentin Châtelain), son domestique ou fils adoptif, à la fois obéissant et insolent, peut se mouvoir, mais ne peut pas s’asseoir. Entre terre et mer, cloîtrés dans une pièce aux murs gris et froids, cette étrange famille vit peut-être enfin la fin de quelque chose. C’est cette fin, espérée et crainte, retardée et accélérée, jouée et subie, cette impensable et impossible fin, que raconte Fin de partie : Clov partira-t-il, abandonnant Hamm à lui-même ? Hamm va-t-il finir son histoire et en commencer une nouvelle ? Lui et ses parents vont-il mourir ? Les questions fusent et rares sont les réponses. Et dans cette ambiance oppressante de fin du monde ou fin d’un monde vécu, une question domine et demeure au bord des lèvres : le monde s’arrête-t-il quand on cesse d’exister ?

« – A quoi est-ce que je sers ?, demande Clov
– A me donner la réplique, répond Hamm »

© Dunnara Meas

Une distribution ingénieuse, excellente et forcément, réussie.

En 2010, il mettait en scène Tchekhov et Feydeau. Cette année, Alain Françon, auteur et metteur en scène français, décide de s’attaquer au chef d’œuvre de Samuel Beckett (1906-1989). Pour la petite histoire, « Fin de Partie » est une pièce en un acte pour quatre personnages, écrite en français entre 1954 et 1956, créée le 1er avril 1957, à Londres, au Royal Court Théâtre, dans une mise en scène de Roger Blin, puis reprise le même mois, à Paris, au Studio des Champs-Élysées. Pour cette nouvelle mise en scène, Alain Françon a réuni d’excellents acteurs français. Les rôles de Hamm et Clov sont interprétés par Serge Merlin et Jean-Quentin Châtelain, qui ont partagé le Prix de la Critique Théâtrale du meilleur acteur en 2010, l’un pour « Extinction » de Thomas Bernhard réalisé par Alain Françon et Blandine Masson, l’autre pour « Ôde maritime » de Fernando Pessoa, mis en scène par Claude Régy. Ils sont ici pour la première fois réunis sur un plateau de théâtre avec Isabelle Sadoyan (Nell) et Michel Robin (Nagg), sociétaire de la Comédie Française depuis janvier 1997.

« Tout est absolu. Plus on est grand, plus on est plein, plus on est vide. », Hamm.

© Dunnara Meas

Une grandeur minimaliste

Loin de chercher l’originalité, Alain Françon choisit de rester fidèle aux didascalies de l’auteur. Une grande pièce gris foncé aux murs incroyablement élevés, au centre, trône Hamm, recouvert d’un drap. Deux petites fenêtres latérales couvertes par des rideaux se font face. Une porte à droite donne sur la cuisine. Les deux poubelles / parents sont placés près de Hamm, en avant-scène. Au cours de l’histoire, le drap est retiré, les rideaux sont tirés, des objets sont apportés, rangés ou jetés, mais dans l’ensemble le jeu est statique. Seul Clov évolue en zig-zag, en serviteur zélé. Mais la fidélité du metteur en scène n’en est que plus louable. Que ce soit dans le jeu maniéré, exagéré, excentrique, proche du dessin animé, de Hamm, ou des marionnettes / pantins pour les personnages des parents, tout est fait pour souligner l’absurdité et la force comique de la pitoyable existence de l’homme. Tout ce à quoi nous assistons est d’un glauque terrifiant, sentiment accentué par des voix en partie graves et profondes, et pourtant, nous rions délicieusement de ces figures grotesques et pourrissantes. Dans cette version, toute la beauté et la force tragi-comiques du texte de Beckett sont sublimées. Et les acteurs choisis ne l’ont pas été en vain. Tous sont excellents et interprètent brillamment leurs étranges personnages. Serge Merlin fait preuve d’une telle énergie, d’une telle force d’expression et Jean-Quentin Châtelain incarne un père tellement émouvant et drôle, que l’on a du mal à retenir ses larmes.

« – Pourquoi tu m’as fait ?, demande Hamm.
– Je ne savais pas que ce serait toi, répond son père »
« Je te quitte », Clov

Beckett lors de répétitions pour la mise en scène de Michaël Blake à Londres (Aldwych Theatre, 1964) : « Tirons autant de rires que possible de cet horrible fatras. »

Fin de Partie
De : Samuel Beckett
Mise en scène : Alain Françon
Avec : Michel Robin, Serge Merlin, Michel Robin, Isabelle Sadoyan
Décor et costumes : Jacques Gabel
Lumières : Joël Hourbeigt

Du 10 Mai au 17 Juillet 2011

Théâtre de la Madeleine
19 rue de Surène, Paris 8e – Réservations 01 42 65 07 09
www.theatremadeleine.com

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