Critique de Camille Hazard –
Ne venez pas voir « Et cependant » pour vous assoir et regarder une belle histoire, non, venez plutôt pour vous faire pincer par des sensations, vous faire réveiller par des picotements, vous faire titiller…
Le spectacle s’inscrit sous forme de poème symphonique entrecoupé, haché et cisaillé de micros scènes conceptuelles. La metteuse en scène Sylvie Baillon a choisi de nous parler du Vieillir. Après sa collaboration avec l’auteur Alain Cofino Gomez en 2004 pour son spectacle « Féminins-Masculins », elle renouvelle l’expérience du compagnonnage pour l’écriture de « Et cependant ». Une idée judicieuse : le texte est court, efficace, rythmé, supporté par des mots évocateurs et poétiques. On retrouve quelques références littéraires comme « L’éloge des vieillesses » de R. Detambel, « Sarinagara » et « Le nouvel amour » de de P. Forest… Il porte en lui l’idée que la vieillesse n’est pas synonyme de « perte de vitalité ou perte de liberté, mais plutôt sagesse et équilibre ». Voilà un thème intéressant, qui prévoit poésie, introspection, divagation…
Pour illustrer idées et images, tous les moyens artistiques sont mis à profit ; un excellent violoncelliste pour des musiques retenues et transcendantes comme « Ô Solitude » de Purcell ou « Quatuor pour la fin du temps » de Messiaen… Le son chaud, mûr en même temps qu’enroué et tiraillé des cordes renvoie à l’idée même du corps vieillissant. Une chanteuse lyrique accompagne cet instrument aux courbes féminines, deux marionnettistes font vivre les différentes étapes d’un couple et d’un arbre, de l’enfance à la vieillesse. Une danseuse bûto offre son corps comme tableau (ou comme le poème de Rimbaud « Les assis »), on peut y voir, le temps qui passe, les plis de la peau se former, les gestes convulsifs qui précédent la mort enfin, le retour à l’enfance, au fœtus : départ vers un éternel recommencement… Puis il y a de la vidéo et… la vidéaste. Les images filmées en direct transcendent les actes sur scène, métamorphose avec sens les objets ; comme ce petit château de sable devant nous, qui à l’écran devient pyramide de la vie. Comme cette danseuse qui, dans l’œil sépia de la caméra, prend une dimension historique, vestige d’un temps passé dans une danse du dernier souffle.
Toutes ses expressions artistiques s’animent pour éveiller la langue du texte, chacun y va de son moment et on passe d’une idée à une autre le temps de cligner des yeux.
« Du sec, du mort, s’échappent une langue qui veut lécher le monde »
Marionnette
Si toutes les idées mises en scène sont riches, elles sont en revanche beaucoup trop nombreuses. Une seule idée aurait suffi à créer un spectacle entier. Les micros tableaux s’enchaînent avec rapidité, le temps de voir et de comprendre oui ! Mais pas le temps de recevoir… dommage car la poésie et la profondeur qui s’en dégage est touchante.
« Je suis une gueule ouverte, une paire d’yeux humide »
Marionnette
Sylvie Baillon souhaite nous parler de la vieillesse avec un autre regard, comme si « vieillir s’apparentait à une sieste au creux du monde ». Certaines images dans le spectacle renvoient à cette sérénité sénile, d’autres à la monstruosité des corps et des regards bientôt éteints.
Le couple de marionnettes, à chaque étape de leur vie, parlent et questionnent le temps qui passe, serait-ce une obsession ? Car tant qu’on pense au temps inexorable qui file sous nos doigts, on ne fait rien d’autre, on ne vit pas !
Quelques questions s’imposent quant à la mise en scène : Pourquoi les artistes sont-ils tous pieds nus ? Pourquoi la vidéaste est-elle toujours sur le plateau aux côtés des comédiens ? Ses images sont belles mais sa présence gêne les actions vivantes.
Remarquons la magnifique présence de la danseuse Léone Cats Baril qui sous, des airs d’ancienne héroïne antique déchue, nous livre une énergie poétique extrême, un regard clair apaisé, des yeux sombres d’où apparait le chaos…
Et Cependant
Texte : Alain Cofino Gomez
Mise en scène : Sylvie Baillon
Assistante à la mise en scène : Fabienne Muet
Création Marionnettes et interprétation : Eric Goulouzelle
Assistant création marionnettes : Pierre Tual
Chorégraphie et danse : Léone Cats Baril
Interprétation : Yngvild Aspeli
Chant lyrique : Caroline Chassany
Violoncelle : Laurent Rannou
Vidéo et photographie : Véronique Lespérat-Héquet
Création lumière :Yves Lombard
Costumes : Sophie Schaal
Scénographie : Antoine VasseurDu 3 au 12 février 2011
Théâtre Dunois
7 rue Louise Weiss, 75 013 Paris – Réservations 01 45 84 72 00
www.theatredunois.org
Prochaines dates :
Strasbourg, Les Giboulées de la Marionnette » 20 mars 2011 à 19h00, et lundi 21 mars 2011 à 14h30