À l'affiche, Critiques // Ercole Amante, opéra de Pier Francesco Cavalli, livret de Francesco Buti, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, Opéra-Comique

Ercole Amante, opéra de Pier Francesco Cavalli, livret de Francesco Buti, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, Opéra-Comique

Mar 26, 2020 | Commentaires fermés sur Ercole Amante, opéra de Pier Francesco Cavalli, livret de Francesco Buti, mise en scène de Valérie Lesort et Christian Hecq, Opéra-Comique

 

© S. Brion

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

https://www.opera-comique.com/fr/saisons/saison-2020

Une merveille ! Un enchantement baroque d’une poésie, d’une délicatesse et d’une douce folie. Des cieux descendent les déesses, des enfers surgissent les morts. Junon en ballon, Vénus en sa fleur, Neptune en sous-marin vert… Tempêtes marines furieuses et orages tonitruants, feux d’artifices pétaradants ! Et quelques monstres sortis tout droit de l’imagination de deux doux-dingues génialement inventifs, Valérie Lesort et Christian Hecq. Du baroque ils ne retiennent que le théâtre à machines, à transformations spectaculaires, les trucages et les métamorphoses. Toujours à vue. Mais avec une très grande finesse. C’est un baroque épuré de toute afféterie, une ligne claire en harmonie avec la formidable musique de Cavalli, au plus près du livret pourtant bien touffu. Entre tragédie et comédie, c’est un conte, au sens allégorique, auquel ils apportent un humour subtil, tout de légèreté et gravité tressées qui fait fi du livret quelque peu alambiqué. Qu’ils rendent limpide comme de l’eau claire. Valérie Lesort et Christian Hecq jouent du premier comme du second degré propre au récit de notre enfance, allégeant de fait le récit mythologique. Dans cette boîte, cette arène mouvante, comme une mise en abyme du théâtre lui-même, dieux et déesses, héroïnes et héros, vivants et morts, s’affrontent dans une féerie où les couleurs pastelles dissimulent à peine la cruauté réelle de l’intrigue. Et c’est l’enchantement, le merveilleux qui domine l’ensemble. Chaque tableau étonne, vous souffle par ses inventions étonnantes, parfois avec trois fois rien, d’une simplicité confondante, en apparence. Une longue, immense traîne comme un ruisseau de larmes. Des enfers et des ombres dignes d’une production de la Hammer dégraissée où les spectres décharnés surgissent des tombes, tel des zombies épuisés… La nacelle de Vénus, colombe rose sortie tout droit d’un manège qu’on veut enchanté. Un siège de verdure magique aux mains frondeuses. Et ces marionnettes étranges qui vous troublent et vous émeuvent. Ainsi le Sommeil, ce doux obèse endormi protégé par la nymphe Pasithée qu’on bercerait volontiers. Amour, si petit et facétieux. Et ce monstre vert et cauchemardesque, si laid et si drôle, si doux qu’il ne méritait sans doute pas d’être inscrit dans les douze travaux d’Hercule mais trouve si bien sa place ici… Ce qui est incroyable c’est que tant d’univers plastiques, réunis pour un même ouvrage, puissent fusionner sans heurt, semblent aller de soi, et faire sens. Valérie Lesort et Christian Hecq usent avec bonheur des conventions du théâtre baroque et, sans en abuser, en s’émerveillant sans doute, en explorent tous les possibles, pour exhausser la partition de Cavelli, dirigée avec bonheur et rigueur par Raphaël Pichon, qui trouve dans cette production riche d’inventions et de justesse une nouvelle épiphanie 350 ans ou presque après sa création.

Pour autant la direction d’acteur n’est pas négligée. Cet écrin baroque, cette folie théâtrale offerte, les chanteurs  s’en saisissent, en jouent et se jouent avec bonheur des stéréotypes académiques propre au genre et à leur rôle. Jusqu’au second degré, à l’image d’Hercule en usant même avec malice, macho et matamore gonflé de suffisance, mais qui dans sa mort, revêtu de la tunique fatale de Nessus, trouve tout soudain de vrais et sublimes accents tragiques qui vous retournent et clouent sur place, avant de rejoindre, nouveau dieu, le Panthéon et ses étoiles. Hyllus et Iole sont transis d’amour chaste, costumes kitsch assumés en référence, mais les colonnes sur lesquels ils se déclarent, en étranges stylites, les élevant des dessous du théâtre vers les cintres, enfin pas tout à fait, ne laisse aucune doute sur la réalité de celui-ci, le 7ème ciel est à leur portée… Junon a des accents martiaux et de matrone gardienne de la vertu. Vénus tout en séduction, en charme libertin. Déjanire, femme trompée et mère aimante, apporte une caution tragique. Mais il ne faut pas s’y tromper, c’est encore un jeu d’illusion et c’est dans la mélodie propre à chacun, leur partition que la vérité des personnages éclate dans toute leur réelle complexité. Une véritable mise à nu que n’occultent ni Valérie Lesort et Christian Hecq attentifs tous deux au paradoxe des personnages jamais étouffés par l’appareil théâtrale et baroque qui les porte et les sublime.

Et le casting vocal est parfait, exceptionnel même. Giulia Semenzato (Venere, bellezza Cinzia), Francesca Aspromonte (Iole), Anna Bonitatibus (Giunone), Giuseppina bridelli (Deianira), Eugénie Lefebvre (Pasitea, Ombra di lerica, Terza Grazia, Seconda Pianeta) sont toute entière habitées par leur chant et leur rôle, d’une justesse frémissante. De même les hommes, le baryton Nahuel di Pierro (Ercole), la basse Luca Tittoto si drôle en Neptune et mortellement effrayant en Eurytus sorti des enfers, le ténor Krystian Adam (Illo) et l’indéboulonnable contre-ténor Dominique Visse (Licco), rôle bouffe irrésistible de drôlerie. Dirigés au cordeau, au plus juste par Raphaël Pichon, qui fait également de ses musiciens dans la fosse d’étonnants bruiteurs (et vu d’en haut, c’est plutôt cocasse) et qui sans se départir de leur talent semblent s’amuser tout autant que l’ensemble du plateau.

 

 

© S. Brion

 

Ercole Amante de Pier Francesco Cavalli

Livret de Francesco Buti

Direction musicale Raphaël Pichon

Mise en scène Valérie Lesort et Christian Hecq

Décors Laurent Peduzzi

Costumes et machines Vanessa Sannino

Lumières Christian Pinaud

Collaboration aux mouvements Rémi Boissy

Réalisation des marionnettes Carole Allemand, Sophie Coeffic, Valérie Lesort

Chef de chant Pierre gallon*

Assistant mise en scène Olivier Podesta

Assistant scénographie  Maïté Vauclin

Assistant Costumes Peggy Sturm

Avec Nahel Di Pierro, Anna Bonatatibus, Giuseppina Bridelli, Francesca Aspromonte, Krystian Adam, Giulia Semenzato, Luca Tittoto, Eugénie lefebvre, Ray Chenez, Dominique Visse, Marie Planinsek*, Perinne devillers*, Corine Bahuaud*, olivier Coiffet*, Renaud Brès*, Nicolas Brooymans*, Constantin Goubet*

*membres de Pygmalion

Danseurs: Anna Beghelli, Rémi Boissy, Leslie Dzierla, Mickaël Fau, Florence Peyrard,

Choeur et orchestre, Pygmalion

 

4,6 8, 10 et 12 novembre 2019 à 20h

 

Opéra-Comique

1 place Boildieu

75002 Paris

réservations 01 7023 01 31

www.opera-comique.com

 

 

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