Critiques // Dytpique Mayenburg / Osinski au Rond-Point : « Le Moche » et « Le Chien, la nuit et le couteau »

Dytpique Mayenburg / Osinski au Rond-Point : « Le Moche » et « Le Chien, la nuit et le couteau »

Mai 02, 2011 | Aucun commentaire sur Dytpique Mayenburg / Osinski au Rond-Point : « Le Moche » et « Le Chien, la nuit et le couteau »

Critique de Rachelle Dhéry

« Fanny : Autrefois, avant de te rencontrer, je n’aurais jamais pensé qu’un jour j’aurais un mari aussi moche, mais maintenant je ne le remarque plus. (…) J’aime tout de toi à part ça, j’aime par exemple ta façon de parler.
– Lette : Donc nous avons une relation acoustique. »

« Le Moche » raconte l’histoire de Lette, un homme qui souhaite présenter lui-même le produit qu’il a créé, lors du prochain congrès. Or, son directeur a choisi d’y envoyer Karlmann, l’assistant de Lette, à sa place. Il cherche évidemment à savoir pourquoi, lui, employé modèle, est ainsi évincé. La réponse sonne comme un coup de massue dans sa vie : il est moche. La voilà, la raison. Or, il n’en avait aucune idée. Même sa femme Fanny ne le lui a jamais avoué. « Je pensais que tu le savais », lui dit-elle. Face à l’évidence des autres, il cède et décide de se tourner vers la chirurgie. Il se fait modifier complètement le visage. Sans le faire exprès, le chirurgien réalise apparemment un chef-d’œuvre et, tout-à-coup, son visage provoque des hystéries collectives. Tout le monde voudrait avoir ce visage. On se l’arrache comme le dernier produit à la mode. Sa tête se promène partout. De quelqu’un d’insignifiant, mais quelqu’un tout de même, Lette deviendra un homme adulé et envié, puis finira tout le monde, ou plutôt personne. Sa femme l’abandonne, son patron le vire, son assistant le remplace, et proche de la fin, il se noie dans sa propre contemplation.

Le Moche | © Pierre Grosbois

« Faites quelques chose et il se passera quelque chose. Ne faites rien et il ne passera rien.
– Vous avez déjà imaginé ça ? Que le monde continue sans vous. »

Dans « Le chien, la nuit et le couteau », M. est un personnage amnésique, propulsé au milieu d’un cauchemar nocturne, au milieu d’êtres énigmatiques qui cherchent à le dévorer. Son dernier souvenir est celui d’avoir mangé des moules avec des amis. Dans cet univers sanglant, surréaliste et effroyablement sombre, il rencontre tour à tour un homme sans son chien, une sœur cadette et une sœur aînée, un policier, un brigand, un avocat, une infirmière, un docteur et un chien devenu loup. Dans une rue, une chambre, une prison, un “accueil malades”, ou dans les steppes. Chaque fois, le scénario se répète : l’autre a toujours le même visage (homme ou femme) et tente de le tuer pour le dévorer avec le couteau. M. arrive à retourner le couteau contre l’agresseur et le tue. Le héros affronte malgré lui les différents obstacles et dangers qui se présentent sur sa route. Son unique porte de sortie semble s’incarner dans la sœur cadette, qui, par amour, refuse de céder à la faim, et par la lumière. Lorsque l’aube naîtra, le cauchemar prendra fin. De ses errances solitaires et perdues, de l’affrontement des monstres un peu malgré lui, M. termine plus fort. Il a moins peur. Il n’est plus seul.

« On va commencer par le nez, puisque c’est lui qui dépasse le plus »

Dans « Le Moche », les acteurs sont déjà sur scène pour ne plus jamais la quitter, toujours prêts à interpréter l’un des protagonistes. Les costumes et tailleurs sont sobres, et, exceptée une table multifonction, le décor est inexistant. Ici, place au texte. Nous sommes au théâtre, qui retrouve là, son sens du jeu. Les comédiens jouent, s’amusent, changent de personnages d’un coup de main dans les cheveux, ou en retroussant les manches. Donc, malgré l’incroyable ingéniosité, la modernité et le sens comique de Mayenburg (auteur contemporain allemand, connu notamment pour « L’enfant froid »), la mise en scène, pour être efficace, doit compter sur des belles performances d’acteurs. Tous formés au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, et tous possédant une carrière à couper le souffle, les quatre comédiens semblent effectivement aptes à relever le défi. Et c’est là que le bât blesse. Hormis l’époustouflant Frédéric Cherboeuf, incroyablement bon et drôle en directeur obsédé par la vente de ses produits et en chirurgien fou à l’égo d’artiste, les autres peinent. Particulièrement pour Jérôme Kircher, qui incarne un Lette (le Moche) limite benêt, trop maniéré, ahuri, toujours dans la retenue et tellement détaché de son personnage qu’il devient difficile de créer l’illusion.

Le Chien, la Nuit et le Couteau | © Pierre Grosbois

« Autour de moi, le temps et l’espace collaborent »

Dans « Le chien, la nuit et le couteau », Jacques Osinski (Metteur en scène de théâtre et d’opéra, également Directeur du CDN des Alpes de Grenoble) endosse à nouveau son rôle de créateur. Faits de bric et de broc, les lieux sont assez bien identifiés. Mais c’est surtout ces ambiances lumineuse et sonore qui font corps intime avec l’effrayant cauchemar. Les mouvements sont lents, parfois un peu trop, le temps semble comme suspendu. Contrairement au « Moche », place est faite, donc, à l’espace scénique, à l’incarnation visuelle ou musicale du pire des rêves. Tout est conçu pour nous plonger profondément dans les abîmes de la conscience. Et c’est plutôt bien réussi. Il n’est pas facile d’effrayer au théâtre. Mais ici, sans être de la peur, ces humains devenus monstres, parce que tiraillés par la faim, glacent le sang, la nuque, et mettent mal à l’aise. L’unique déception est ressentie lors des dérives de l’errance de M. entre chaque lieu, qui la marque au travers d’une démonstration bien trop excessive. Les trois acteurs, également formés au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique (on retrouve d’ailleurs Frédéric Cherboeuf) embarquent le spectateur avec force et virtuosité. Le thème, comme l’écriture, tiennent du génie : sur fond de surréalisme, ce sont de réels problèmes de société qui sont traités. Il faudrait des heures pour en parler, mais les grands traits peuvent être dessinés ainsi : la famine qui engendre violences et folie meurtrière, la peur de la mort, les déviances institutionnelles, la solitude… Âmes sensibles s’abstenir.

« Le Moche » et « Le Chien, la nuit et le couteau »
De : Marius von Mayenburg
Mise en scène : Jacques Osinski
Traduction de l’allemand : Hélène Mauler, René Zahnd
Dramaturgie : Marie Potonet
Scénographie : Lionel Acat
Collaboration artistique : Alexandre Plank
Lumières : Catherine Verheyde
Costumes : Hélène Kritikos
Comédiens « Le Moche » : Frédéric Cherboeuf, Delphine Cogniard , Jérôme Kircher, Alexandre Steiger
Comédiens « Le Chien, la nuit et le couteau » : Frédéric Cherboeuf, Grétel Delattre, Denis Lavant

Du 28 avril au 22 mai 2011

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris – Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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