Critiques // « Deux Voix » de Pasolini et Herkströter aux Amandiers

« Deux Voix » de Pasolini et Herkströter aux Amandiers

Jan 21, 2010 | Aucun commentaire sur « Deux Voix » de Pasolini et Herkströter aux Amandiers

Critique de Camille Hazard

Un comédien, seul en scène, tenant en haleine tout un public pendant 1h45, ce n’est malheureusement pas souvent que l’on assiste à cela au théâtre.

Et pourtant, Jeoren Willems nous tient, nous déconcerte, nous questionne, à travers une suite de monologues adaptés de plusieurs textes de P.P.Pasolini ainsi que par diverses opinions morales et sociales  de l’ancien président du conseil d’administration de Shell international : Cor Herkströter.

Poète, dramaturge, cinéaste, philosophe…Pasolini est mort en 1975, assassiné par des fascistes sur la plage d’Ostie en Italie.

Ses idées ont toujours dérangé, déstabilisé les gens de pouvoir, d’argent, de religion ; l’infernale Trinité galopante. Toute sa vie Pasolini s’est fait la voix du peuple et il est rassurant maintenant de voir ses idées mises en chair sur une scène. Ces textes, adaptés par Tom Blokdijk et Paul Slangen, proviennent de recueils méconnus du grand public dans lesquels l’auteur s’interroge sur ce qu’est la politique, la culture, la société… «Écrits corsaires », « Lettres Luthériennes », « L’expérience hérétique »…

Pasolini s’interroge : « Pourquoi l’homme a t il autant besoin de consommer, d’amasser coûte que coûte, de posséder tout et à n’importe quel prix ? » Est-ce l’angoisse de la mort ? L’instinct de survie poussé au paroxysme ? Pasolini a, durant toute sa vie, critiqué les corrompus du pouvoir en place, le peu de Foi et de sacré chez les hommes d’églises, la Mafia et son mépris pour les citoyens…Mais s’il a pointé du doigt les « puissants » de ce monde, il a également apporté des réponses. Des réponses politiques, mais aussi sociales, culturelles… avec des idées tout à fait réalisables. Ce ne sont donc pas des écritures utopiques ! Sa lutte constante a fini par s’écouler dans chaque pore de sa peau jusqu’à ce qu’il en soit mort.

– Le monstrueux, l’homme de Foi et l’intellectuel –

Jeoren Willems incarne plusieurs personnages su scène : un haut fonctionnaire satisfait, grossier et arrivé au terme de ses ambitions professionnelles, un jeune cadre émoustillé par son avenir prometteur, un intellectuel travesti qui rêve de sainteté, un homme d’église sans Foi, et enfin un homme, la voix de Pasolini, qui ouvre le spectacle et qui le clôt par un geste puissant et porteur de sens. Les confessions de ces  personnages s’enchaînent, le public se retrouve seul face à de troublantes questions : quel lien y a t il entre la dérision des hommes puissants et le poing levé d’un ouvrier ? Qu’est ce qui se cache derrière la volonté de sainteté absolue ? Qu’est ce qui se cache, tapi dans l’ombre, derrière ce qu’on appelle conventionnellement « le Bien » ?

– Réquisitoire et plaidoyer : Multinationales levez vous ! –

L’idée de ce spectacle est percutante, pleine de justesse, car après avoir entendu la voix de Pasolini, à travers les différents personnages, nous écoutons le plaidoyer d’un directeur d’entreprise internationale qui parvient à nous convaincre comme le font tous les autres personnages. Le public peu éclairé sur l’auteur, aura la tête chamboulée et remplie d’interrogations. Mais le public dit « de gauche », engagé lui-même devra lui aussi se remettre en question ! Aucune démagogie dans le spectacle !Dans leur discours, toutes les voix ont un sens, la solution de la vie réside dans l’équilibre parfait, entre les valeurs humaines, l’égalité des peuples, le sacré qui nous habite, et le capitalisme.

Le spectacle commence

Fin de soirée, une table jonchée de bouteille d’alcool, de restes de desserts, de chaussures, de bas, un éclairage cerclé comme au cabaret ; la mise en scène nous ramène à l’ambiance des « Damnés » de Visconti : la fête à outrance, l’impression d’extrême liberté sexuelle, cache en fait quelque chose de très noir qui se prépare sous nos yeux.

L’acteur est presque toujours assis autour de la table, comme si les personnages en avaient besoin pour tenir face à nous. La table, l’alcool : seuls piliers dans un monde qui s’effondre. J.Willems ne joue pas, il vit sur scène. On ressent chez lui un besoin vital d’être là, de nous parler. Sa conviction sur scène n’a rien à envier à celle de Pasolini ! Son jeu n’ai jamais vulgaire, parfois monstrueux, ailleurs drôle ou même pitoyable, mais en aucun cas, il ne tombe dans la facilité. L’adaptation du texte, la mise en scène, l’éclairage et la musique accompagnent le jeu de l’acteur qui se suffit à lui-même. Rien n’est jamais appuyé. Seul compte le texte,  ainsi que le corps qui lui donne vie car les textes de P.P Pasolini sont bien plus forts que n’importe quel discours politique de droite comme de gauche.

Deux Voix
De : Pier Paolo Pasolini et Cor Herkströter
Avec : Jeoren Willems
Mise en scène : Joan Simons
Adaptation : Tom Blokdijk et Paul Slangen
Dramaturgie : Paul Slangen
Traduction : Monique Nagielkopf
Scénographie : Joan Simons et Piet Hein Eek
Lumière : Joan Simons
Son et Musique : Flor Boddendjik
Costumes : Ateliers NTGENT

Du 6 janvier au 10 février 2010

Théâtre Nanterre Amandiers
7 avenue Pablo Picasso, 92022 Nanterre
www.nanterre-amandiers.com

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