Critiques // « Derniers remords avant l’oubli » de Lagarce au Théâtre du Ranelagh

« Derniers remords avant l’oubli » de Lagarce au Théâtre du Ranelagh

Avr 15, 2011 | Aucun commentaire sur « Derniers remords avant l’oubli » de Lagarce au Théâtre du Ranelagh

Critique de Camille Hazard

Un dimanche.
La campagne.
Une maison.
Trois personnages reviennent en famille, sur le lieu de leur amour passé.
Et puis une vente,
La vente de cette maison…

Hélène, mariée à Pierre puis à Paul, actuellement avec Antoine, réunit cette famille recomposée pour conclure la vente de leur maison. Cette rencontre sera également l’occasion de renouer avec le passé, de dire tout ce qui n’a pas été dit, d’enlever les couches de mensonges, d’éclairer les zones d’ombre de ce passé commun…Mais les questions relatives à l’amour et à l’argent au sein d’une famille créent bien souvent une psychose, un effroi et bien que tout le monde cherche à en parler et à régler ses comptes, finalement personne n’en parle : les flots de paroles ne suffisent pas à faire évoluer l’action.

Dans cette pièce, chaque personnage se tient fermement accroché à des mots, à des voix qui tournent à vide. Toujours sur la défensive, chacun se bat avec ses propres mots et ceux des autres afin de mettre en lumière leurs pensées, leur dégoût, leurs remords. Signature de Jean-Luc Lagarce au fil de ses écrits.

Voilà, l’histoire est simple : un prétexte qui réunit des personnes. Et des mots, des amas de mots sur lesquels tout le monde dérape, glisse et se fait mal. Une fuite éperdue vers une tentative de compréhension et de réconciliation.

« J’étais sûre qu’il poserait des problèmes, qu’il ferait des histoires. Je l’avais dit. Ce n’est pas vrai ? Ne dis pas que je ne l’ai pas dit. Je l’avais prévu, c’était prévisible, c’était tellement prévisible. »
Hélène

« Derniers remords avant l’oubli » se situe entre l’univers tchekhovien où les personnages baignent dans une errance de vie et une latence infernale et l’univers des films Bacri-Jaoui : grands observateurs de notre quotidien et de notre société absurde. La réunion de famille, les litres de salive déglutis, l’ébullition autour de la question d’argent ne suffisent pas à cacher la profonde solitude qui abrite ces êtres. Pour nous parler de cette solitude, Lagarce donne vie à des personnages types : le blasé, le niais toujours positif, l’adolescente morne et insolente, l’écrivain raté, l’épouse docile et souriante, l’irréductible battante qui ne lâche rien. Mais si Lagarce fait preuve d’une profonde cruauté et d’un grand désespoir à travers son écriture, il y met aussi une bonne dose d’amour et de compassion comme s’il se reconnaissait en chaque personnage. Individus qui voudraient agir mais qui ne font que s’agiter en parlant, qui souhaiteraient avancer mais qui reculent lentement et sûrement, qui se montrent forts, fiers et sûrs d’eux mais qui sont en fait rongés d’incertitudes et de remords…

Immersion en eaux troubles

Le metteur en scène et acteur Serges Lipszyc (rôle de Pierre) propose une mise en scène risquée et audacieuse. Les spectateurs endossent le rôle d’invités à cette réunion de famille. Conviés dans leur salon (bar du théâtre du Ranelagh), nous prenons place en attendant les convives ! À la fois témoins, voyeurs et participants, nous sommes immergés dans cette valse des corps et des mots perdus.

Dans ce magma de mots, les quelques silences tiennent une place toute particulière, devenant silences religieux. S.Lipszyc immortalise ces instants silencieux par une photo de famille. Seule la fille d’Hélène, Lise qui prend la photo, demeure en dehors de ce cercle d’adultes défaits. Pour appuyer leurs propos, à défaut d’y croire, la famille déambule devant, derrière, au dessus de nous, levant les bras, gesticulant tout en cherchant du regard notre approbation. Ne désirant pas créer un jeu distancier mais bien au contraire nous inclure au sein de cette famille, S.Lipszyc, rejoint la compassion de Lagarce pour ces personnages ; il ne les livre pas en pâture, ni ne les expose en vitrine, il nous les fait côtoyer, accepter et les rends attachants à nos yeux par leur faiblesse et leur rage.

Il faut dire que les comédiens réussissent parfaitement à tenir leur partition malgré la mise en danger que produit la mise en scène : les spectateurs boivent, bougent, sont en pleine lumière et la promiscuité doit très certainement ajouter un sentiment d’insécurité dans le jeu… Le comédien Bruno Cadillon (également scénariste et écrivain) dans le rôle de Paul, incarne vraiment la parole et la pensée de Lagarce : le rythme, le débit des phrases, l’attaque des mots… tout est fait sien. Plutôt impressionnant lorsqu’on connaît l’écriture “à déchiffrer” de l’auteur.

Entre tragédie et comédie, agitation et passivité, paroles futiles et idées profondes, agressivité et faiblesse, cette pièce de Lagarce tente de combler tous les paradoxes qui nous habitent avec dureté et bienveillance. Mais arrivera-t-on vraiment à oublier nos remords pour oublier ?

Derniers Remords avant l’oubli
De : Jean-Luc Lagarce
Mise en scène : Serge Lipszyc
Avec : Bruno Cadillon, Serge Lipszyc, Valérie Durin, Juliane Corre, Henry Payet et Ophélie Marsaud
Compagnie du Matamore

Du 2 avril au 21 mai 2011

Théâtre du Ranelagh
5 rue des Vignes, 75016 Paris – Réservations 01 42 88 64 44
www.theatre-ranelagh.com

www.la-compagnie-du-matamore.fr

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