Critiques // « De l’Amour » de Philippe Minyana au Théâtre des Abbesses

« De l’Amour » de Philippe Minyana au Théâtre des Abbesses

Mar 20, 2011 | Aucun commentaire sur « De l’Amour » de Philippe Minyana au Théâtre des Abbesses

Critique de Rachelle Dhéry

Les épopées de l’intime

« Les Rêves de Margaret », « Tu devrais venir plus souvent », « J’ai remonté la rue et j’ai croisé des fantômes », « De l’amour », « Sous les arbres ». Après le Grand prix du Théâtre de l’Académie française qui lui a été décerné en 2010, le Théâtre de la Ville met aujourd’hui à l’honneur l’œuvre de Philippe Minyana à travers cinq de ses textes, qui sont regroupés au sein d’un polyptyque intitulé Les Epopées de l’intime. À cette occasion, le Théâtre de la Ville et le Théâtre Ouvert, qui accompagne Philippe Minyana depuis ses débuts en 1979, se sont donc associés pour une traversée de son œuvre inédite : mises en voix, rencontres, interventions, animation d’un séminaire avec les étudiants de Paris Xe. Les pièces peuvent être vues isolément ou à la suite. Pour « De l’amour », l’auteur invite Marilyn Alasset à la co-mise en scène et Frédéric Maragnani comme collaborateur artistique.

Dans ses textes, Philippe Minyana enchaîne ses souvenirs, ses désirs, ses rêves, ses expériences… Tout ce qui construit son théâtre.

« Des existences. Des incidents. Des drames. Des joies. Deux couples. Une vie. Jeunesse, maturité, mort. Deux commentateurs suivent l’affaire, c’est drôle, quand on s’approche de très près des personnes. Qui sont ces gens ? Des gens fréquentables, qui habitent ces zones urbaines avec pavillons et paysages alentour. En vingt tableaux, on les suit. Ils s’appellent Christina, Boby, Ted, Mylène. Ils nous ressemblent. Les commentateurs ne les lâchent pas, qu’ils forniquent ou qu’ils fassent une petite fiesta. Le temps est la figure principale car c’est dans le temps que s’inscrivent les légendes ordinaires. » Philippe Minyana

De l’amour burlesque mais surtout sinistre

L’histoire permet de découvrir une tranche de vie caricaturale d’un couple d’aujourd’hui, rappelant parfois celles de Georges Courteline au XIXe siècle. Sur scène, quatre personnages. Un couple, que l’on suit de sa jeunesse à sa fin, Christina et Boby, et un autre couple, Ted et Mylène, amis du premier. Quand ils ne sont pas Ted et Mylène, les deux comédiens incarnent des commentateurs, entre présentateurs télé et animateurs de télé-réalité, en moins exaltés. En vingt tableaux, Philippe Minyana nous embarque dans une vision du couple, qui lui est propre. Il s’en dégage un peu d’humour, un côté burlesque, mais surtout une sincère amertume, un cynisme froid et rude comme un long hiver rugueux, une vision décadente de l’amour, où la seule délivrance est la mort. L’amour est subi, contraint, malsain, et le lien homme-femme n’existe que dans l’acte sexuel. Il n’y a pas d’échanges réels entre eux. Pas d’entente. Pas de compréhension directe. Comme deux étrangers qui parlent un langage différent. En bref, c’est une vision sinistre de l’amour, que Philippe Myniana nous fait partager.

Des personnages irréels

Concernant le couple Christina-Boby, il semble difficile de s’y retrouver, de s’identifier. Christina est parfois très autoritaire, tout en étant dépendante, et Boby, très peureux, tout en étant macho. Elle est snob, alors qu’il est illuminé. Le couple Mylène-Ted est déshumanisé: ils tiennent plus de la marionnette et parfois du burlesque. Elle est dépressive, excessive et exhubérante, tandis que lui apparait ringard, précieux et mou. Les acteurs ne parlant pas assez fort, il est parfois nécessaire de tendre l’oreille. D’une manière générale les acteurs ne sont pas tous au même niveau. Il faut toutefois admettre que le jeu de l’actrice incarnant Christina est remarquable !

« Le théâtre, c’est du son et du rythme, qui font sens. » Philippe Minyana

Sont posées sur un sol blanc plastifié çà et là, quinze chaises, une table recouverte de perruques, trois lumières éparses. Les perruques qu’ils utilisent, pour certains, donnent un côté ridicule, voire grotesque, à leur personnage. Les habits des personnages frisent le ringard et le snobisme désuet. La régie est sur scène et la régisseuse tourne le dos au public. Les différentes scènes sont annoncées au micro, par les comédiens. Les comédiennes se changent sur scène, mais sans jamais se dévoiler. Le public reste presque toujours baigné dans la lumière. En bref, on nage dans la sobriété, voire dans l’amateurisme. Le sentiment de participer à un atelier de création est palpable. Comme une pièce inachevée, un spectacle encore en construction, un peu comme si l’on visitait l’envers du décor, comme si le créateur préférait la quête, la recherche expérimentale à l’aboutissement, la réalisation concrète. Faut-il y voir une forme de message de l’auteur (ici également co-metteur en scène) ? Si l’amour n’était pas une vision, mais une multitude de scénarii possibles, pas une parole, mais plusieurs qui se superposent, pas un mouvement unique mais une série saccadée dont la seule fluidité serait celle du temps ? Alors peut-être que ce choix de mise en scène prendrait tout son sens.

« De l’amour », une pièce qu’il faut pouvoir déchiffrer

Sinon, il est clair qu’elle ne facilite pas la compréhension et la lisibilité du texte. Dans un sens, la mise en scène fait vaguement écho au style du théâtre contemporain allemand (Von Mayenburg, Ostermeier…), où le théâtre évoque plus l’idée, le concept, la force d’un texte que le spectaculaire, le divertissement. Le spectateur est amené à réfléchir par lui-même, à retirer une forme d’expérience de ce qu’il a vu. Un spectateur passif ne serait pas satisfait, il faut pouvoir utiliser à la fois ses neurones, son éducation, sa culture, et sa capacité d’analyse et de réflexion. Un peu comme pour bon nombre d’œuvres d’art moderne, où l’émotion n’est accessible que pour l’observateur averti. Parfois, heureusement, il y a un texte explicatif sur le côté…

Par ailleurs, dans son texte, Philippe Minyana alterne la description, le récit avec le dialogue. Et les didascalies sont dites, considérées comme éléments du récit. Philippe Minyana parle ici d’une nouvelle forme – sur laquelle il avait commencé à travailler lorsque la Comédie-Française lui avait commandé une adaptation d’un extrait des Métamorphoses d’Ovide -, qu’il nomme “le théâtre-récit”. À cela, il faut préciser que les textes de Minyana sont écrits d’un bloc, sans ponctuation. Les phrases chocs sont drôles mais il n’est pas évident de saisir les liens entre elles et entre les scènes. Il en résulte pour le spectateur, une difficulté tangible de compréhension du texte et de définition des personnages.

De l’Amour
Mise en scène et scénographie : Philippe Minyana et Marilyn Alasset
Avec : Laurent Charpentier, Marion Lécrivain, Océane Mozas, Gaëtan Vourc’h
Collaboration artistique : Frédéric Maragnani
Chorégraphie et lumières : Marilyn Alasset
Costumes : Hervé Poeydomenge
Régie générale : Vanessa Lechat

Du 16 au 19 Mars 2011
Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses, 75018 Paris – Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

Reprise du 26 mars au 2 avril 2011
Théâtre Ouvert
4 bis cité Véron, 75 018 Paris – Réservations au 01 42 55 55 50
www.theatre-ouvert.net

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