Critiques // « Dämonen » de Lars Norèn mis en scène par Thomas Ostermeier à l’Odéon

« Dämonen » de Lars Norèn mis en scène par Thomas Ostermeier à l’Odéon

Déc 06, 2010 | Aucun commentaire sur « Dämonen » de Lars Norèn mis en scène par Thomas Ostermeier à l’Odéon

Critique de Camille Hazard

Soirée et huit clos infernal où un couple, sous l’œil de leurs voisins, s’acharne à détruire l’autre pour pouvoir survivre ; envie de deuil pour renaître à la vie.

Si la filiation de cette pièce avec celle de Edward Albee « Qui a peur de Virginia Woolf » est flagrante, Lars Nòren donne une dimension plus psychologique à ses personnages. Alors que la pièce d’Albee nous offre en pâture deux chiens qui se tiennent mutuellement la gorge sans jamais desserrer les crocs, ici Katarina et Frank, couple tragique de « Dämonen », lâchent parfois un peu de leste, laissant place au mal être de deux individus distincts et à leurs doutes.
Lars Nòren tente de trouver une solution à ce couple en fin de vie par le dialogue ; mais arrivé au point culminant de cette haine réciproque, plus rien ne sert de parler. Personne n’a tort, personne n’a raison, juste une terrible incompréhension pour se protéger de l’autre.

© Arno Delcair

La soirée s’ouvre sur les différents choix qui pourraient ponctuer cette union, Katarina annonce : « Ou je te tue, ou tu me tues, ou on se sépare ou on continue comme ça, choisis ». C’est en fait un des leitmotivs de la pièce, tenter de se parler… Cela se traduit sur scène par une absence d’écoute, des phrases inaudibles, des dialogues coupés ou répétés. Lorsque chacun est dans une pièce différente, des vidéos projetées sur les murs du salon donnent à voir des détails, des « gros plans » des personnages : regards méprisants, main crispée, souffrance cachée…
Puis, le plateau se met à tourner sur lui-même annonçant un cycle en perpétuel recommencement, vertige monstrueux du couple. D’un côté la chambre, la cuisine, la salle de bain, de l’autre le salon ; pièces où l’on se fuit, se rattrape, s’ignore mais où l’on s’aime tout de même avec rage !
Un décor ultra-réaliste contemporain et plutôt bourgeois, mêle des éléments dans une parfaite symétrie. Au centre, un vélo d’appartement : illustration subtile de la psychologie du couple, qui au fil des années, a créé un monstre à deux têtes avec pour seule échappatoire la course vers la mort, la fuite ou le surplace… Katarina, comme le vélo, finira à la fin de la pièce, à terre, un peu disloquée mais toujours fonctionnelle.

Une ambiguïté pointe dans un cours dialogue :
Katarina : « Ne peut-on pas arrêter de se disputer ? »
Frank : « Pouvoir, on peut ! Mais est ce que l’on veut vouloir arrêter ? »
Leur relation sado-masochiste permet à l’acide de s’écouler lentement dans les veines.

Le frère de Frank et sa femme ont décommandé leur venue, ils regardent un match de foot ! Tant pis, le drame doit avoir lieu, il faut un public ! Les voisins du dessous n’ont qu’à monter. Jenna et Tomas arrivent…

© Arno Declair

Lars Nòren réussit un tour de force : Il nous fait entendre que sous l’invisible, le correct, le gentil, le respectable, peut se dissimuler, là aussi, l’abomination et la souffrance. Nul besoin de cris, de grossièreté ou d’impudeur pour que les démons galopent. Mais à la différence de Katarina et de Frank, eux ont tout accepté : en bons petits soldats de la société, ils ont accepté de se nier, de se consumer pour vivre dans un moule prépensé / préfabriqué / prétendu bon… Le schéma classique : travailler, se marier, avoir des enfants.
D’abord surpris puis choqués par l’attitude du couple, Jenna et Tomas vont peu à peu abandonner leur peau sociale pour faire transparaître leur chair à nu ; les non-dits et leurs envies inavouées éclatent tout au long de la soirée et le couple se dédouble comme une cellule pour laisser parler chaque individualité. Si les personnages « principaux » n’évoluent pas, ceux, considéré au début comme déclencheurs de l’action dramatique, atteindront une catharsis destructrice. Un personnage absent, hante l’appartement méticuleusement rangé : la mère de Frank ou plutôt ses cendres qui attendent dans un sac plastique. Comme si les blessures que vivent les protagonistes remontaient aux Origines.
Nous sommes constamment à la lisière de la tragédie, mais ici, les Hommes sont seuls face à leur destin : aucun Dieu, aucune force sacrée ne les pousse vers quelque action immuable. Non, ici, les Hommes sont seuls à décider et c’est pourquoi ils ne décident pas ! faiblesse, peur, obstination…
À la fin de la soirée, Katarina et Frank ne parlent plus, se calent dans une immobilité morbide qui annonce le début d’un autre cycle. Le même silence qu’au début, les mêmes visages inexpressifs prêts à se rengorger de haine et de douleur.

© Arno Declair

Même si au premier abord, le décor laisse perplexe par l’exubérance et les moyens dépensés pour sa mise en forme, on s’aperçoit rapidement de l’utilité de chaque élément qui le constitue.

Beaucoup de références parsèment le texte : « Une chatte sur un toit brûlant » de Tennessee Williams (que Thomas Ostermeier a mis en scène en 2007), « Persona » de Bergman, « Lune de fiel » de Polanski et bien d’autres.
Tout est axé sur l’ultra réalisme, on aurait pu toutefois s’attendre à un jeu plus extrême ; on assiste à une montée progressive du jeu des acteurs mais sans vraiment atteindre le sommet. Si les personnages atteignent l’asphyxie, les spectateurs ne la ressentent pas assez.
Les allusions au cinéma sont omniprésentes : changement de plans grâce au décor tournant, plans d’ensemble et gros plans projetés sur les murs. Alors finalement pourquoi pas un film ?
Saluons la prestation de tous les comédiens qui font exister des personnages découpés au scalpel. B. Hobmeier (Katarina) et L. Eidinger (Frank) ne jugent jamais leur personnage et si nous sommes parfois agacés qu’aucun des deux ne claque la porte définitivement, nous sommes aussi attendris car dans le fond, qu’y a t il de pire que la solitude ?

Dämonen
– Allemand suritré –
De : Lars Norèn
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Avec : Brigitte Hobmeier / Cathlen Gawlich, Lars Eidinger, Eva Meckbach, Tilman Strauss
Traduction allemande : Angelicka Gundlach
Scénographie et costumes : Nina Wetzel
Musique : Nils Ostendorf
Vidéo : Sebastien Dupouey
Dramaturgie : Bernd Stegemann
Lumières : Erich Schneider

Du 3 au 11 décembre 2010

Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon, 75006 Paris – Réservation 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.fr

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