ƒ Critique Camille Hazard
© Théâtre National de Chaillot
Après le spectacle Khamsoun, programmé au théâtre de l’Odéon en 2006 et Amnesia, découvert en 2010 lors du Festival des Francophonies à Limoges, Fadhel Jaïbi et Jalila Baccar ont travaillé pendant deux ans au dernier volet de leur trilogie Tsunami; nom donné en référence à ce qu’a provoqué le « printemps arabe » en Tunisie. Alors qu’Amnesia se penchait sur la chute visionnaire d’une dictature, l’inquiétude face à l’intégrisme menaçant et le peuple laissé pour compte par les élites, Tsunami est le reflet de ce qu’est devenue la Tunisie après la révolution. Une révolution volée au peuple par les intégristes religieux. Les tunisiens doivent maintenant faire le choix entre religion intégriste et démocratie.
Du groupe à l’individu
On retrouve dans Tsunami un univers froid, implacable et découpé au scalpel. F. Jaïbi et J. Baccar dissèquent le peuple tunisien avec une précision chirurgicale. Des déplacements groupés aux mouvements des corps et des expressions du visage, tout est minutieusement étudié et orchestré avec la plus grande précision par l’ensemble des comédiens. D’une masse organisée, se dégage petit à petit le visage de chaque individu, tous acteurs à leur manière de la révolution.
Une jeune fille de 23 ans, promise à un mariage forcé, s’enfuit de chez elle afin d’éviter toutes représailles familiales. Sa fuite la conduit sur le chemin d’une autre femme, celle d’une sexagénaire qui combat depuis toujours la dictature de son pays par les manifestations, l’engagement associatif et politique. Confrontation de deux figures féminines, de deux paroles qui s’affrontent face au spectre religieux. Bien que la pièce ait été écrite avant, l’héroïne de Tsunami porte les traits et la vie d’Amina Tyler, jeune tunisienne qui après avoir posée seins nus, récemment sur Facebook, à la manière des Femens, fut menacée de mort et dût se contraindre à fuguer avant d’être séquestrée par ses parents…
F. Jaïbi et J. Baccar, artistes très engagés, projettent dans cette pièce, deux scénarios possibles pour ce pays meurtri: « une théocratie fascisante qui voudrait imposer à tous les Tunisiens un système politique fondé sur la charria »et une démocratie laïque, pleine de promesses et ouverte sur le monde.
Si la démarche artistique et l’obstination à vouloir bousculer le peuple tunisien, sont à saluer, certains points de la pièce sont décevants et posent questions…
L’aspect clinique tout d’abord est intéressant car il permet une vision froide des événements mais la mise en scène trop didactique et l’analyse sans passion de « l’homo-tunisianus » finissent par nous laisser en dehors de tout affect. L’esthétique visuel est marquant, bien que les comédiens paraissent un peu perdus dans cet immense espace qu’offre la scène de Chaillot.
Le temps s’étire et s’étiole…
La force du spectacle réside plutôt dans la mise en garde d’un scénario catastrophe qui pourrait envahir le pays a tout moment. Enfin, la pièce s’achève (avant un dernier tableau) sur une chorégraphie esthétisante de corps secoués par l’impact de balles…sans se risquer à parler de mauvais goût, on s’étonne du choix du metteur en scène à mettre de la beauté là où ne réside que de l’horreur. Les actes les plus barbares peuvent-ils devenir matière à « faire du beau » ?
Tsunami
Texte Jalila Baccar
Mise en scène Fadhel Jaïbi
Scénographie et musique Kays Rostom
Lumières Fadhel Jaïbi et Yvan Labasse
Assistante à la mise en scène Jihen Jaiet
Costumes Salah Barka
Son Salah Chergui
Avec Jalila Baccar, Fatma ben Saidane, RamziAzïez, Mohamed Ali Galaï, Nour El Houda, Belhadj Rhouma, Oussama Jamel, ToumadherZrelli, BassemAloui, Ali Ben Said, OumalmaBahri, LobnaGannouni
Jusqu’ au 25 mai 2013 à 20h30
Théâtre National de Chaillot
1, Place du Trocadéro – 75016 Paris
Métro : Trocadéro
Réservation 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr