ƒƒ Critique Camille Hazard et Dashiell Donello
Castellucci magicien, poète
Au commencement il y a un trou noir.
Lumière, temps, composition inconnus. Les sons d’explosions de matières en fusion, réussissant à s’échapper d’un trou noir, nous parviennent, grâce à des enregistrements effectués par la Nasa. Dans le noir, les spectateurs font l’expérience du vide prêt à les dévorer. Le mystère, les bruits assourdissants, le temps qui semble s’étirer, nous entrainent dans des perceptions inconnues, bousculent nos repères… Les spectacles de Castellucci demandent une entière disponibilité à recevoir, ce prélude nous y conduit.
De ce trou noir naissent 10 jeunes filles, plus belles les unes que les autres; beauté pure et fragile des peintres italiens. Dans une sorte de ballet plein de quiétude et d’acceptation elles se mutilent la langue, qu’un chien viendra dévorer. La langue poétique est née, renvoyant la langue des hommes au stade animal. Puis les langues des nymphes se délient pour ensemble, jouer le poème de Hölderlin, la mort d’Empédocle. Personnage historique qui s’intéressa de près au cosmos et pour qui les quatre éléments – feu, eau, air, terre, étaient les composantes de toutes choses. Le poème raconte sa mort lorsqu’il se jeta du haut du volcan de l’Etna.
Partition musicale et graphique
Comme dans son dernier spectacle« Sur le concept du visage du fils de Dieu », on retrouve la minutie d’un metteur en scène amoureux de la peinture et de la musique.
Le temps est étiré mais jamais délié. Les comédiennes remplissent ces étendues scéniques et temporelles, parfois sans parole, par des poses picturales d’une grâce enivrante. Un tempo intérieur nous parvient, une force tranquille alarmante. Identiques, les dix vierges sont enveloppées de robes paysannes et de sabots. Les brassards rouges qu’elles portent au bras, plusieurs mitraillettes prêtes à l’emploi et deux drapeaux accrochés en évidence, nous renvoient à l’époque de l’Italie fasciste. Métaphores, évocations et tableaux se créent laissant les spectateurs puiser dans leur mémoire personnelle, dans leur jardin intérieur.
Avec ce spectacle, Romeo Castellucci domine encore une fois le temps pour enraciner au plus profond de nous, les questions qui l’obsèdent et le hantent: Le regard et la mort, le vide et la représentation.
La fin s’achève en apothéose visuelle sur le thème de Tristan et Iseult de Wagner. Hier soir, un chaos poétique s’est emparé du Théâtre de la ville.
Castellucci l’image éclairée ou la physique théâtrale
L’espace se formule mathématiquement par le vide. Seuls les atomes règlent l’heure du destin. C’est déjà l’éloge de l’évasion par l’assourdissante vitesse de la lumière. Tout ce qui frotte, frôle, et effleure se fait entendre. Tout ce qui se voit, s’imagine, se dessine, est déjà mort. Il faudrait être aveugle pour voir dans cette béance noire, si lumineuse. Tout est en expansion dans cette vertigineuse vérité. Ce qui s’échappe n’est pas du bruit, mais l’espérance de l’évasion. La musique du trou noir ne joue pas les blanches étoiles. Car les noires sont aussi blanches qu’un foudre divin. La musique a pour instrument l’indicible silence à la note de feu. Cerbère mange les langues d’un chœur qui nous parle d’images du martyr. Comme toujours, il n’est pas évident de percer l’énigme du mal. Empédocle voit la colère de l’Etna, à travers les cercles de la vie, sans pouvoir s’expliquer de ce qu’a touché son esprit. Ce qui ne peut se partager se nomme solitude. L’astrophysique de la gestuelle glisse sur l’air, l’eau et le feu. Les rideaux, méduses géométriques, nous dessinent et mangent un cheval au reflux d’une mer noire. Et soudain le théâtre.
Roméo Castellucci nous nomme une possibilité de vie qui côtoie, une possibilité de mort, comme le chat de Schrödinger. Comme l’étoile christique à des million d’années lumière n’arrive que morte à nos yeux. Et c’est dans un gymnase que se rejoue l’histoire à jamais recommencée. Une tragédie, un requiem sublime.
The Four seasons Restaurant
Du cycle Le voile noir du pasteur
Mise en scène, décor et costumes Romeo Castellucci
Musique Scott Gibbons
Assistance à la mise en scène Silvia Costa
Collaboration à la dramaturgie Piersandra Di Matteo
Avec Chiara causa, Silvia Costa, Laura Dondoli, Irene Petris
Figuration Myriam Sokoloff, Carlotta Moraru, Marine Granat, Marie Dissais, Moira Dalant, Clara Chabalier
Du 17 au 27 avril 2013, tous les jours à 20h30, dimanche à 15h00Théâtre de la ville
2 Place du Châtelet – 75004 Paris
Métro : Châtelet
Réservations au 01 42 74 22 77www.theatredelaville-paris.com