Critique de Denis Sanglard –
Michel Fau s’attaque à l’opéra. La variété française ne lui suffit plus. Après une mémorable « Revue Pathétique »(1) au Rond-Point, notre comédien chanteur brame son amour du chant lyrique. Depuis la dernière cérémonie des Molière où son interprétation magistrale et personnelle de « Quelqu’un m’a dit », extrait par ailleurs de sa revue susmentionnée, on se doutait bien qu’il n’en resterait pas là. Fin connaisseur du monde lyrique, metteur en scène d’opéra lui-même, aujourd’hui diva déglinguée et accorte, il n’a peur de rien. Et il ose.
Or donc, ça commence fissa par une danse tout voile dehors. Très, très lointain échos d’Isadora Duncan, ça tient de l’à peu près, oscille entre ridicule et pathétique. Ca sautille et s’élance, court de ci de là, cahin-caha. Avec application et sérieux. Le nôtre, de sérieux, ne tient plus longtemps. La dame enchaîne avec quelques extraits de l’opéra de Camille Saint-Saëns « Samson et Dalila » dont le tubesque « Mon cœur s’ouvre à ta voix ». Là, ça se corse. Ca tient du coassement sinon du croassement. C’est imparable. Notre diva, imperturbable, inspirée, tient bon et minaude, amarrée au piano. Qu’elle lâchera bientôt pour une danse lascive — enfin qui se voudrait — et déchaînée. On avait déjà touché le fond avec la première chorégraphie, là on prend une pelle et on creuse devant cette « bacchanale » insensée. Je pense soudainement à Martha Graham, enfin presque, parce qu’au niveau du bassin ça coince un peu… Dans ce ballet pantomime notre diva fait des mines et des tonnes. Puis, morceau de choix, temps fort de ce récital improbable, quatre variations sur Phèdre. On ne rigole plus… Voire. Car notre Diva se pique aussi de tragédie classique. Variations puisque nous passons allégrement d’une reconstitution « historique » où la Champmeslé elle-même, pourtant créatrice du rôle, peut aller se rhabiller toute honte bue, à l’évocation de la championne toute catégorie pour ce rôle, feue Marie Bell, semble t-il, à laquelle Michel Fau ressemble étonnement ici (je l’ai déjà écrit mais ça se confirme).
© Marcel Hartmann
Impeccable dans la diction, ça articule, ça sonne, ça souffle, ça enfle, ça alexandrine sec. C’est magnifiquement, tragiquement ampoulé. « On entendait tomber les colonnes » écrivit Michel Bouquet à propos de madame Segond-Weber, sociétaire et tragédienne du Français aujourd’hui et comme tant d’autres oubliée. Les colonnes ne tombent plus, c’est nous qui nous écroulons. Le fantôme de Marie Bell donc, mais pas seulement. Dans un souci de modernité, on entend ce qui pourrait s’apparenter à Amarande, à Jacqueline Maillan ou Maria Pacôme, lesquelles, erreur d’emploi, se seraient égarées du coté du Palais-Royal. De l’ampoulé à la Poule, ainsi Michel Fau fait il le grand écart en souplesse entre Comédie Française et le Boulevard. Phèdre se meurt et c’est Racine qu’on assassine. Accrochés au fauteuil, hilares, on se demande jusqu’où cela va aller… Encore un air d’opéra, baroque cette fois ci, Castor et Pollux de Rameau, rien de moins. Triste lamento (« Mon mal vient de plus loin ») sur lequel nous pleurons de rire. Et puis paf, incongru comme un contre-ut lâché par un aphone, un texte d’à peu près Marguerite Duras, joué durassissimo. En fait un texte de Roland Menou « MekongB4 » dit au débotté. Avant de terminer par un ultime massacre, « Summertime » de George Gershwin… Il y a deux bis, comme il se doit, mais là, motus.
Michel Fau réinvente le mythe de la Diva Assoluta. Reprenant les codes et les clichés du genre qu’il pille outrageusement, avec allégresse et gourmandise. Loin, bien loin de la révolution de Maria Callas et du chant vériste ! C’est un type de jeu bien particulier qu’avec énormément d’humour il pastiche. Il met en lumière un jeu daté, stéréotypé, aujourd’hui ringard à nos yeux et régit par des conventions. Qui n’ a pas souri devant ces photos de scènes ou de studios où les artistes posent, emphatiques, dans leur rôles emblématiques ? Des conventions qui n’épargnent pas le théâtre contemporain. Michel Fau s’en empare et force le trait sans jamais appuyer. Surtout, l’air de rien, il montre qu’il n’y a pas si longtemps encore l’opéra ou le théâtre était affaire de personnalités, de monstres sacrés. C’est à ceux-là, ces magnifiques cabotins, qu’il rend cet hommage complètement loufoque et décalé.
- L’impardonnable revue pathétique et dégradante de Monsieur Fau au Théâtre du Rond-Point » voir l’article
Récital Emphatique
Mise en scène et interprétation : Michel Fau
Accompagnement piano : Mathieu El Fassi
Robes : David Belugou
Maquillages : Pascale fau
Coiffures : Elodie MartinDu 20 au 30 décembre 2011
Du mardi au samedi à 19hThéâtre des Bouffes du Nord
37 bis bd de la Chapelle, Paris 10e
M° La Chapelle — Réservation 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com