Critiques // Critique • « Golgota Picnic » de Rodrigo Garcia au Théâtre du Rond-Point / Festival d’Automne

Critique • « Golgota Picnic » de Rodrigo Garcia au Théâtre du Rond-Point / Festival d’Automne

Déc 12, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Golgota Picnic » de Rodrigo Garcia au Théâtre du Rond-Point / Festival d’Automne

Critique de Denis Sanglard

N’en déplaise aux nouveaux Torquemada qui souhaiteraient avec ardeur des planches du plateau de théâtre faire du bois dont on fait les bûchers, la dernière création de Rodrigo Garcia, Golgotha Picnic, n’est en rien blasphématoire. Et d’ailleurs, là n’est pas le propos qui fausserait de toute façon le débat. Débat qui n’a pas lieu d’être… et qui ne montre que la bêtise crasse, l’intolérance, de certains groupuscules minoritaires réactionnaires qui sans rien avoir vu, jugent et condamnent sans autres soucis que de leur propre propagande, pour ne pas dire publicité. Fuck Civitas, entre autres ! Et comme le dit Jean-Michel Ribes qui accueille cette création : « On vous laisse le droit de croire, laissez nous le droit de penser. »

© Davir Ruano

Certains seront sans doute déroutés de cette dernière création. Sans doute la plus intimiste de Rodrigo Garcia. Intime, oui. Certes les images chocs attendues sont là. Plateau recouvert de hamburgers bientôt piétinés, ingurgités, vomis. Crucifixion des comédiens, nus ou habillés, travestis. Sexes offerts à la caméra. Un vocabulaire que Rodrigo Garcia avait jusqu’à présent décliné jusqu’à l’épuisement, la lassitude même. Mais cette nouvelle création relègue le trash en arrière plan. La performance n’est jamais anecdotique mais cela n’est sans doute pas le plus important. Il y a comme un jeu volontaire, une connivence avec le public à qui l’on donne ce pourquoi il est venu. Maldonne. Car Rodrigo Garcia retourne contre lui-même ce vocabulaire et nous prend au piège. Il connaît le pouvoir de l’image (ce que sa dernière création « C’est comme ça et faites pas chier » (1) démontrait tout aussi magistralement). Ce qui est mis en jeu ici, en scène, c’est le verbe. L’écriture de Rodrigo Garcia est portée ici à son incandescence. Mais surtout le propos claque, surprend violemment. Après avoir jusqu’ici conchié avec maestria et provocation le monde, la société consumériste contemporaine — grâce lui soit rendue — avec les outils que l’on sait, en parfaite adéquation avec son sujet, aujourd’hui Rodrigo Garcia se penche sur lui-même. Un retour sur soi bouleversant. C’est l’enfance qui parle. Et la terreur engendrée par une éducation catholique. Religion qui cultive la peur par le verbe qu’elle dévoie et par l’iconographie qu’elle répand. Iconographie d’une violence rare dont la crucifixion est l’acmé. Et dont Rodrigo Garcia reprend avec malice les codes qu‘il décline et dénonce. Comment un homme et un texte érigé en dogme engendrèrent plus de 2000 ans de souffrance, de haine et de terreur. Et comment chacun se dépatouille comme il peut avec cet héritage plus ou moins conscient, cette peur du péché gravée en soi. Ce nouvel évangile selon Garcia est d’une mélancolie méditative. Un constat lucide, un regard rageur décillé, vision d’un monde en putréfaction qui érigea la foi en valeur non négociable et justifie encore l‘horreur contemporaine.

© Davir Ruano

Certes l’image du Christ n’est pas épargné, non sans humour. « (…) Il a finit sur la croix qu’il méritait, car tout tyran mérite un châtiment où, comme on dit dans mon quartier : si tu foire tu payes. [Il] a vécu un calvaire qui n’a pas été plus douloureux que celui de n’importe quel employé de la poste, le calvaire d’une vie dépourvue de sens, comme n’importe quelle vie, pareille que la tienne. (…) Il a échoué en tant que stratège militaire et leader social ». Un Christ déchristianisé, dépouillé, image d’un homme dans ce qu’il peut avoir de terrible et de pitoyable. Rodrigo Garcia, stricto sensu, reprend à son compte cette iconographie chrétienne qui fait du Christ un homme en souffrance, loin de toute icône byzantine où le Christ était encore Dieu. Il répond au Verbe par son verbe qui lui aussi se fait chair. Réinterprétation libre de la Bible, matrice de toute terreur, dans ce qu’elle peut avoir de contradictoire et qui pour Rodrigo Garcia représente « l’imaginaire. La beauté du langage. L’utopie. Et l’extrême violence. Et surtout, l’injustice (…) ». Une écriture répétitive, tranchante, lancinante, qui manie l’outrance et la polémique et qui fait mouche. Ce qui frappe ce n’est pas, encore une fois, les images scéniques, c‘est le texte. Un texte dégraissé, tendu, précis, qui semble désormais, contrairement aux créations précédentes, pouvoir se passer de l’image parce qu’il génère son propre univers. Et le décalage entre la performance proposée et le texte ne rend que plus pertinent cette assertion. C’est dans ce frottement que se révèle toute l’intelligence et la valeur du texte. Plus qu’un texte de théâtre, c’est un récit qui ne tend que vers un seul but, paradoxal, le silence.

© Davir Ruano

« Sautez dans le vide du silence et de la solitude et profitez du recueillement. » Cette phrase est sans doute la clef de cette œuvre poignante et puissante. Illustrée de façon magistrale quand au bout d’une heure de ce chaos intelligemment mené, sur une scène ravagée, Marino Formenti, nu, se met au piano avec lequel il fait totalement corps. Et s’élève soudain dans le silence « Les Sept Dernières Paroles du Christ sur la Croix » de Haydn. C’est magistral. Stupéfiant. Bouleversant. Clef de voute de cette création, cette méditation proposée, éclaire soudain l’ensemble et fait éclater toute la douleur et le désarroi de l’homme inscrit au cœur du récit. L’apaisement qui survient ouvre un nouvel espace de réflexion inédit, un renversement de perspectives où ils nous est donné d’entendre à rebours ce qui précédemment nous était assené dans l’urgence. Au commencement était la chute. Celle là même qui ouvre et clôt cette création. C’est cette chute et ses conséquences que Rodrigo Garcia met en scène. Celle d’un homme nommé Jésus. Celle de n’importe quel employé des postes.


  1. C’est comme ça et me faites pas chier de Rodrigo Garcia au Théâtre de Gennevilliers » voir l’article

Golgota Picnic
Texte, mise en scène et scénographie : Rodrigo Garcia
Avec : Gonzalo Cunill, Nùria Lloansi, Juan Loriente, Juan Navarro, Jean-Benoît Hugeux
Assistant à la mise en scène : John Romao
Traduction : Cristilla Vasserot
Piano : Marino Formenti
Musique : Joseph Haydn, Les Sept Dernière Paroles du Christ sur la Croix
Lumières : Carlos Marquerie
Son : Marc Romagosa
Vidéo : Ramon Diago
Bande-son : Vidéos Daniel Romero
Costumes : Belén Montoliù

Du 8 au 17 décembre 2011
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris 8e
Métro Franklin Roosevelt – Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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