Critique de Denis Sanglard –
Acide
A ceux qui s’attendent à une nouvelle création trash de Rodrigo Garcia, ceux là seront déçus, au mieux déboussolés. Et c’est tant mieux. Preuve de la cohérence et de l’intelligence d’une œuvre parfaitement maîtrisée qui évite le toujours plus, la surenchère tant attendue par ceux qui ne voient en Rodrigo Garcia qu’un simple provocateur. A ce public là il donne aujourd’hui encore un démenti cinglant. Toujours aussi acide mais moins nerveux, plus intimiste, Rodrigo Garcia avec C’est comme ça et me faites pas chier s’empare de la parole, le fondement de l’art théâtral occidental avec cette recherche toujours de faire éclater de l’intérieur les codes dramaturgiques.
© Christian Berthelot
On se rapproche davantage de Goya et Agamemnon créés en 2006 au Théâtre de la Cité Internationale certes moins performatif que Et balancez mes cendres sur Mickey ou J’ai acheté une pelle en solde chez Ikea pour creuser ma tombe par exemple. Du moins en apparence car la force de Rodrigo Garcia est d’avoir intégré la performance et d’en avoir fait un élément dramaturgique au service de la théâtralité et non une entité en marge. C’est encore plus évident ici ou rien ne semble heurter. Avec une certaine perversion. Puisque l’acteur principal pour lequel ce texte a été écrit est aveugle mais ne joue pas de sa cécité. Qu’il soit non voyant n’est plus ni moins qu’anecdotique, de ce coté là du moins il n’y aura pas de performance. Tant pis pour notre voyeurisme. C’est comme ça et me faites pas chier se concentre donc sur le texte et demande aux spectateurs une attention plus que soutenue. Texte fleuve, où sont décrites entre autre les fresques de Masaccio centrées sur les figures d’Adam et Eve fuyant le paradis, qui dénonce la parole en question comme incapable dans l’absolu à saisir le réel. Parole muée en communication, la vie résumée en commentaire font le tragique de la condition humaine saisie dans le seul lien qui relie l’homme à ses semblables. Et faillite aussi de fait du théâtre occidental. Et surtout abordant peut être pour la première fois de façon plus frontale l’intime, il y a comme un renversement de perspective, une volonté à revenir vers l’individu isolement. Nous sommes passés du collectif à la personne.
Physique, visuel et sonore
© Christian Berthelot
Cette création est traversée d’images moins saisissantes que poétiques. Qui d’autre mieux que Rodrigo Garcia est capable de transformer un homme en paysage en proie aux flammes ? Si chaque image porte un sens qui parfois nous échappe qu’importe. Rodrigo Garcia en accord avec son sujet excelle à ne jamais expliciter ni s’appesantir. Sur le plateau cerné de cymbales d’orchestre, l’acteur aveugle Melchior Derouet déroule imperturbablement son texte, déambule, lit, danse avec fureur en éructant la phrase qui donne son titre à cette œuvre, joue des cymbales… Son image nous trouble quand se faisant maquiller apparaît projeté en gros plan sur le mur son visage androgyne. Se jouant des codes Rodrigo Garcia brouille avec malignité les frontières. Théâtre toujours aussi physique et visuel donc et également violemment sonore. Mais ici il y a alternance entre douceur mélancolique et fureur hystérique, bourrasque soudaine qui vient tout balayer sur le plateau. Quand volent les livres balancés par le narrateur, quand Mozart éclate en fanfare et que dansent de petits pantins mécaniques, quand l’actrice Nuri Lloansi en vient à arracher avec les dents le tee-shirt de Melchior Derouet. C’est cette violence latente derrière chaque image poétique qui signe sans doute le mieux cette nouvelle création. Nous sommes sur un fil tendu qui jamais ne se rompt.
Confusion
Mais pouvons nous faire confiance aux images ? La toute dernière et magnifique est sans doute la plus explicite. Nuri Lloansi nue sur une plage que lèchent les vagues n’est qu’un leurre de plus. Entre sa fabrication et sa projection c’est toute la tromperie du monde et toute l’illusion de la création théâtrale qui éclatent. Serions nous donc aveugle à nos propres mensonges ? Tout semble n’être que confusion et c’est justement cette confusion qu’avec rouerie Rodrigo Garcia crée dans le public. Mise en abyme, mise en perspective, nous sommes brutalement retournés comme une peau de lapin. La désillusion n’est que l’aboutissement logique de nos illusions.« Les histoires sont nécessaires, à condition de ne pas croire en elles. »
C’est comme ça et me faites pas chier
Texte, mise en scène et espace scénique : Rodrigo Garcia
Avec : Melchior Derouet, Nuria Lloansi Rotlan, Daniel Romero Calderon
Traduction : Christilla Vasserot
Musique : Daniel Romero Calderon
Création lumière : Carlos Marquerie
Vidéo : Ramon Diago
Assistant à la mise en scène : John Romao
Direction technique : Ferdy Esparza
Régisseur plateau : Vincent Panchem
Technicien son : Joël SylvestreDu 5 au 14 novembre 2010
Théâtre de Gennevilliers
41 avenue des Grésillons, 92 230 Gennevilliers – Réservations 01 4132 26 26
www.theatre2gennevilliers.com