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Critique • « Salomé » par la Compagnie des Dramaticules au théâtre Berthelot

Juin 04, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Salomé » par la Compagnie des Dramaticules au théâtre Berthelot

Critique d’Anne-Marie Watelet et  Camille Hazard

« …Dans une chaude lumière. Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté »

Charles Beaudelaire

Comme à son habitude, Jérémie Le Louët nous offre un plateau magnifique: un parterre de roses écarlates, pénétré d’une longue table installée sous forme de podium et à peine éclairé par quelques sources lumineuses provenant des pourtours de miroirs. L’atmosphère y est désenchantée et à la fois ardente. Salomé de Strauss résonne, s’efface puis laisse la parole à deux dandys contemplatifs en habit noir (David Maison et Julien Buchy). L’un, à la pose alanguie, poétique et lunaire, l’autre habité par le fantasme de Salomé. Les leitmotivs poétiques « impressionnent » les silences.
Ce prologue terminé, le roi Hérode réunit ses convives autour d’une grande table. Le vin coule à flot, les fruits abondent, tout se prête à la sensualité.

Et si tout cela n’était qu’un jeu ?

© DR

Avant même que la pièce ne prenne corps,  Hérodias, Salomé et Hérode sont installés face des miroirs à maquillage. Ces miroirs n’auront pas d’autres rôles par la suite, mais à la fin, les ampoules qui habillent leurs pourtours s’allumeront frénétiquement une dernière fois, comme pour sceller la fin du spectacle. Une mise en abîme se crée, nous commençons à apercevoir, non plus les personnages bibliques,  mais des comédiens en train de répéter, de représenter cette pièce. Volonté de  dédramatiser l’action ? De créer une distance, un va et vient entre l’intérieur de l’histoire et leur propre histoire ? De montrer l‘omniprésence  du masque dans la société, du mensonge ? « Il ne faut regarder ni les choses, ni les personnes, il ne faut regarder que les miroirs car ils nous montrent que des masques. » O. Wilde.  Le jeu quasi frontal des comédiens crée également une distance, et implique d’autant plus la volonté de représentation.

Mais l’ensemble est rigide, les comédiennes manquent de volupté dans leur jeu, dans leurs paroles toujours tranchantes et acerbes – la violence ne doit pas ici être exempte de séduction. Le Requiem de Ligeti résonne, les voix des morts s’élèvent pour annoncer l’inévitable drame, l’inexorable mise à mort.

Salomé nous déçoit, pire, nous renverse ! Dominique Massat est statique, figée dans une posture qui manque souvent de superbe, elle, pourtant princesse biblique, légendaire par le pouvoir que lui donne sa beauté ! C’est une Salomé illuminée, aux yeux écarquillés et à la bouche ouverte dont l’expression donne la sensation étrange d’être happée par le bas, l’impression désagréable d’une déchéance volontaire, d’un abandon trivial discordant avec le personnage. On s’attendait à ce qu’elle use de ses charmes, qu’elle soit plus incandescente, plus « chatte » au sens baudelairien du mot, afin que la cruauté et le sacrilège éclatent. Le débit de ses paroles assez terne ne peuvent dégager la brillance du texte. Toutefois, l’intransigeance du désir de Salomé dans l’affrontement avec son beau-père, Hérode, est plus juste.

Le prophète Iokanaan clame avec haine ses prédictions délirantes sur le déclin de l’humanité (ainsi que son aversion pour Salomé). On aurait aimé que le comédien Stéphane Mercoyrol, qui a une belle présence, nuance le ton trop puissant et égal de sa voix. Son omniprésence sur scène n’est pas suffisamment justifiée.

Quant à Jérémie Le Louët, on ne peut qu’apprécier son jeu aux multiples nuances. Avec son visage maquillé à outrance qu’il déforme, sa voix minaudante et suave, il incarne parfaitement ce personnage royal déchu, tantôt plein de faiblesses, capricieux et immature, tantôt libertin attisé par le vin et son désir pour Salomé. Son incantation poétique sur les pierres précieuses, dite à voix basse et traversée par un souffle lyrique, ferait pâlir d’envie toute femme et gagnerait l’enthousiasme de Wilde et de ses amis artistes.

Jérémie Le Louët nous offre l’imaginaire que l’on lui connait bien et qui sied à merveille aux mots de Wilde,  mais on a l’impression que les autres comédiens, (sauf Julien Buchy qu’on aurait souhaité d’ailleurs voir plus présent),  sont restés en dehors de cette vision, qu’ils ont entendu l’envie du metteur en scène sans toutefois jamais y accéder. L’esprit décadent règne sur scène et prend son sens, celui de l’époque romaine en son déclin, et celui, contemporain à l’auteur : XIXème siècle crépusculaire aux lueurs vacillantes. Le Louët a voulu interroger le désir également dans notre société présente, où la sexualité sans tabous, débridée ou banalisée peut donner à réfléchir.

Salomé
D’Oscar Wilde
Mise en scène : Jérémie Le Louët
Scénographie et costumes :  Christophe Barthès de Ruyter
Lumière : Jean-Luc Chanonat
Son : Simon Denis
Régie : Simon Denis et Thomas Chretien
Avec  Jérémie Le Louët, Kataryna Krotki, Dominique Massat, Stéphane Mercoyrol, Julien Buchy, David Maison, Anthony Courret et Jonathan Frajenberg

Du 1er au 9 juin 2012 – tous les jours à 20h30 (relâche les 3 et 4 juin)

Théâtre Berthelot
6, rue Marcellin-Berthelot
93048 Montreuil
M° Croix de Chavaux
Réservation 01 41 72 10 35 – resa.berthelot@montreuil.fr
www.dramaticules.fr

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