Critique de Camille Hazard –
Après son passage retentissant au Cloître des Carmes à Avignon en juillet dernier, Vincent Macaigne investit Chaillot avec sa fidèle troupe !
Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, pièce librement inspirée de l’histoire et du personnage d’Hamlet, semble puiser sa force dans la fureur, la colère, les cris et le fracas.
Beaucoup de bruit pour rien ?
Dans ce spectacle, V.Macaigne est bien décidé à nous faire pénétrer dans l’univers de ses personnages par la chair, par les corps en lutte, par la douleur physique plutôt que par les mots ou la psychologie.
Bien sûr les mots du texte sont porteurs de sens mais ils sont à tel point malmenés, précipités, hurlés durant le spectacle, qu’ils endossent plutôt le rôle de matériaux, de vecteur pour une tentative de compréhension plus globale.
© Christophe Raynaud de Lage
Tout en respectant les personnages et la chronologie des événements de l’histoire, le propos du metteur en scène se focalise sur l’acharnement d’Hamlet à connaître la Vérité. Baignant dans l’urgence, au bord d’une folie morbide, il ne connaît jamais le repos. Les personnages qui gravitent autour de lui, macèrent eux dans leur colère du monde, dans leur peur de grandir, d’affronter la cupidité, le mensonge, l’hypocrisie de la royauté.
Seul Claudius, roi fraîchement élu du Danemark et beau-père d’Hamlet, semble dès le début se démarquer. Affublé d’un costume de banane pour célébrer son mariage, celui-ci ne réclame que fêtes, cotillons, éclats de rire et champagne. Mais bientôt, sous cette insouciante légèreté, se dévoile le masque d’un irresponsable, d’un pleutre qui préfère se cacher plutôt que gouverner… effrayant reflet du Berlusconisme.
Personnage attrayant mais d’autant plus dangereux qu’il déroute et entraîne le peuple dans son renoncement, dans sa volonté de pacotilles et d’oubli. (Nous serons tout de même témoin de ses regrets passés, dans la deuxième partie du spectacle. Espoir de Salut ?)
Dès l’entrée du théâtre, nous plongeons immédiatement dans l’atmosphère du spectacle avec la « musique soupe » italienne, Sara Perche ti Amo.
Dans la salle, un acteur harangue la foule pour la faire chanter, danser, monter sur scène et faire du bruit. « Allez faites du bruit ! Faites trembler Chaillot ! »
Dans une ambiance bon enfant nous nous laissons entrainer délicieusement, dans cette mise en condition, dans ce qui nous paraît être une tentative de partage, d’unité, de confiance….
Durant toute la durée du spectacle, nous acceptons de suivre les acteurs dans leur furie, dans leurs hurlements, nous acceptons d’entrer dans cet espace en construction, fait d’échafaudages, de « placo » et grouillant d’accessoires hétéroclites (têtes de cerfs empaillés, drapeaux, machines à boisson, serpentins de fête foraine …). Nous acceptons la musique aux mille décibels. Nous nous amusons, spectateurs des deux premiers rangs, de se voir aspergés de boue. Boue provenant d’une fosse mortuaire noirâtre au devant de la scène et dans laquelle, les acteurs se jettent tour à tour.
© Christophe Raynaud de Lage
Mais petit à petit une impression étrange se dessine…
L’impression dérangeante que règne l’envie de flatter le public (afin de se le mettre dans la poche ?) et dans le même temps de se lancer continuellement des défis sur scène…
Scotchés à notre fauteuil, nous en prenons plein la vue, tant la mise en scène est fracassante, déchainée et prise à bras le corps par des comédiens-diables sortis de leur boîte ! Nous en oublierions presque que nous ne sommes pas venus assister à un feu d’artifice ou à un spectacle de son et lumière… Mais, ça « pop », ça « pète », ça « claque », pas le temps de réfléchir, on a bien fait de venir !
Beaucoup d’éléments de mise en scène relèvent du défi, voire du pari !
Comme cette initiative d’inviter au début du spectacle, le public à monter sur scène pour y tenir un rôle, pour se responsabiliser théâtralement. Initiative tant engageante qu’engagée mais qui ne relève malheureusement que d’un pari d’un soir de première… « 50 euros, que je fais monter du public sur scène ! ».
Les “défis” que se lancent les comédiens deviennent prévisibles et gratuits : volonté et impression de défier Chaillot « Théâtre institutionnel » en passant de la musique ringarde à fond, en demandant au public de taper des pieds espérant ainsi créer un brouhaha dévastateur, défi de se plonger dans un bain de boue froid, de lancer à tout va des « putain de merde », de se montrer nus à quelques centimètres des spectateurs, en position d’accouplement dans une lumière crue…
Ces actions inventives auraient pu être fortes et bouleversantes si seulement un sens s’en dégageait… Mais la gratuité prime sur la conduite artistique et le désordre visuel qui jonche le plateau s’empare rapidement du spectacle dans sa totalité.
Si l’on capte instantanément le désespoir et la rage qui animent Vincent Macaigne, si la mise en scène et le jeu des acteurs fourmillent d’inventivité, on ne peut pas accepter l’idée qu’il suffirait de faire du bruit pour faire entendre sa voix.
Au moins j’aurai laissé un beau cadavre
Écriture, mise en scène, conception visuelle et scénographique : Vincent Macaigne
Scénographie : Benjamin Hautin, Julien Peissel
Accessoires : Lucie Basclet
Lumière : Kelig Le Bars
Son : Loïc Le Roux
Assistante : Marie Ben Bachir
Avec : Samuel Achache, Laure Calamy, Jean-Charles Clichet, Julie Lesgages, Emmanuelle Matte, Rodolphe Poulain, Pascal Reneric, Sylvain SounierDu 2 au 11 novembre 2011
Tous les jours à 19h30, le dimanche à 14h30Théâtre National de Chaillot
1, Place du Trocadéro, Paris 16e
Métro Trocadéro – Réservations 01 53 65 30 00
theatre-chaillot.fr