Critiques // Zululuzu, Teatre Praga, Théâtre de la Ville / Chantiers d’Europe

Zululuzu, Teatre Praga, Théâtre de la Ville / Chantiers d’Europe

Juin 03, 2016 | Commentaires fermés sur Zululuzu, Teatre Praga, Théâtre de la Ville / Chantiers d’Europe

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

zululuzu© Carlos Pinto

Teatro Praga est de retour à Paris, au Théâtre de la Ville pour le festival Chantiers d’Europe, avec toujours la même énergie et la créativité, l’engagement qui le caractérise. Zululuzu titre énigmatique, jeu de mot revendiquant une double influence, la langue Bantou (le zoulou) et le Portugal (luso / luzo pour la Lusitanie) comme un cri de guerre, un cri de rage. A l’origine du projet, Fernando Pessoa et plus précisément ses années sud-africaine dont on ne sait quasiment rien. Lui-même dans son œuvre en parle peu sinon pas du tout, juste un poème dans les dernières années de sa vie. Et c’est dans cette absence, dans ce vide autobiographique qu’il s’engouffre pour très vite l’évacuer. Pessoa est au final très peu évoqué dans cette création dont il n’est qu’un prétexte, vite et avec beaucoup d’humour expédié. C’est un fil conducteur ténu pour une réflexion plus vaste sur le métissage et l’apartheid culturel, celui des idées et des représentations, des clichés exotiques et colonialistes. Ce que revendique le Teatro Praga avec autant de verve que d’humour c’est tout simplement de faire entrer enfin dans le théâtre la diversité culturelle hors des clichés ordinaires. Zululuzu devient la représentation de tout ceux qui au théâtre n’ont pas le droit de cité ou si peu: black, beur, homo, trans, vieux… Sont convoqués les figures tutélaires des combats citoyens pour l’égalité des droits, noirs ou homos et trans, prostituée(e)s, les victimes des barbaries, des génocides, leurs bourreaux… Tous ils sont Zululuzu, victimes ou héritiers d’un système de pensée oppressif, tous d’une façon ou d’une autre sont métissés. Ce métissage que l’on occulte et que revendique Teatro Praga avec cette phrase récurrente « moi dont l’arrière grand père était noir ». Ce qui coupe l’herbe sous le pied à toute critique chagrine de voir sur le plateau une seule actrice noire. C’est aussi réveiller et convoquer cette mémoire issue du métissage. Ce sont, sur le plateau nu, des oriflammes colorés, avec en leur centre les figures de ces combattants et citoyens convoquées comme autant de fantômes. C’est une adresse directe et joyeuse pour un théâtre citoyen qui se soucierait comme d’une guigne de la couleur de peau des interprètes, de leur sexualité ou bien alors comme étendard d’une diversité triomphante tout à la fois acquise et ordinaire. Teatro Praga joue la provocation en proposant au vue de l’orientation artistique des théâtres qui omettent cette diversité de tout simplement les vendre puisqu’ils ne représentent plus qu’eux-mêmes, oublieux de leur mission, du moins ce qu’elle devrait être, à savoir faire entrer le monde dans sa diversité sur le plateau. Un apartheid culturel en somme. Débat qui se justifie et rejoint le combat de certains jeunes metteurs en scène, on pense à David Bobbée. Et il n’y a qu’à voir les nominations aux Molière… C’est une création généreuse, drôle qui n’évite pas l’écueil de ce qu’il dénonce, les clichés, mais qui en joue subtilement pour les retourner, les détourner. Le Teatro Praga n’a rien perdu de sa vivacité et de son impertinence, de son originalité et de ses convictions qui le voit changer de forme, explorer de nouvelles pistes en adéquation avec son sujet sans rien perdre de son humour. On peut être surpris de l’apparente austérité sinon économie de ce dernier opus, de sa densité, de l’usage de la parole qui prend tout l’espace jusqu’à saturation parfois. Un espace mis à nu, dépouillé comme s’il fallait le réinvestir différemment, jusqu’à ironiquement le repeindre. Le mettre à nu pour qu’enfin il retrouve sa fonction première, sa mission, celle d’un théâtre citoyen dans lequel s’engouffre le monde dans sa diversité.

Zululuzu
direction artistique et texte Pedro Zegre Penim, José Maria Vieira Mendes, Andre e. Teodosio
Musique originale Xinobi
Scénographie Joào Pedro vale, Nuno Alexandre Ferreira
Costumes Joana Barrios
Création Lumières Daniel Worm d’Assupçào
Création son, Sergio Henriques
avec André e. Teodosio, Clàudia Jardim, Diego Bento, Jenny Larrue, Joanna Barrios, Jules Bisson, Maryne Lanaro, Pedro Zegre Penim
Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses 75018 Paris
du 31 mai au 4 juin 2016 à 20h30
reservation : 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

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