Critiques // « Yaacobi et Leidental » de Hanokh Levin au Théâtre du Rond Point

« Yaacobi et Leidental » de Hanokh Levin au Théâtre du Rond Point

Jan 23, 2010 | Aucun commentaire sur « Yaacobi et Leidental » de Hanokh Levin au Théâtre du Rond Point

Critique de Bruno Deslot

En quête d’un bonheur illusoire

Yaacobi et Leidental, deux amis de toujours, tentent de mettre un terme à leur relation fusionnelle car l’un d’entre eux est fermement décidé à faire l’expérience de la vie.

D’inlassables parties de dominos, engagées sur le balcon de Leidental qui arrose le jeu de son thé favori, rythment le quotidien des deux amis. Mais la quarantaine, sonnante et trébuchante, encourage Yaacobi à tenter l’expérience de la vie et surtout celle du bonheur. Les dominos sont mis au placard et l’ami avec. Yaacobi s’aventure sur les chemins sinueux d’un bonheur fantasmé et y croise une musicienne saisie par la passion du piano. Ruth, jeune femme aux formes callipyges, à la poitrine maternelle et à la croupe charolaise, s’empiffre de sucreries de manière compulsive. Elle est le bonheur pour Yaacobi à qui elle ouvre le champ des possibles. Image hystérique et séduisante de la femme manipulatrice, Ruth hante les pensées de Yaacobi qui décide de l’épouser. Tous deux reçoivent Leidental, qui s’offre en cadeau de mariage le jour de la noce. Difficile d’envisager un ménage à trois lorsque chacun y cherche sa place et réclame sa part de bonheur.

De la légèreté et du rythme !

Auteur d’une cinquantaine de pièces de théâtre, Hanokh Levin invente un langage théâtral qui lui est propre. Un style incisif, acerbe et parfois violent, avec Yaacobi et Leidental, il lève le voile sur les petites gens, confrontés à leur incapacité d’être heureux. Dans cette quête du bonheur illusoire, l’auteur propose une oeuvre qui travaille entre la pensée et la farce dans un discours sur l’humain ironique et tout particulièrement violent. Le théâtre de Levin est une déclinaison de l’impuissance à vivre qui nous renvoie à la farce de certaines de nos angoisses. Bourreau ou victime, dans Yaacobi et Leidental, les personnages sont en quête d’un bonheur qu’ils s’évertuent à détruire, consistant seulement à se donner le sentiment d’exister. Des dominos et un ami au placard, qui s’offre tout de même en cadeau, le jour des noces de Yaacobi et Ruth. Une musicienne se passionnant davantage pour le contenu de son freezer que pour ses gammes et un Yaacobi, tourbillonnant, cherchant sa place dans cet eldorado de comédie où Leidental, devenu l’homme à tout faire, semble l’avoir trouvée. Dans cette course haletante aux déconvenues existentielles des uns et des autres, Frédéric Bélier-Garcia, balise le terrain en respectant une dramaturgie du minuscule dans laquelle chacun circule de la chambre à la rue pour finalement se retrouver coincé à trois, dans un espace clos par la prégnance de leurs angoisses. De la légèreté et du rythme, voilà ce qui caractérise la mise en scène de Bélier-Garcia. Une lutte délirante, entre trois personnages aux désirs frustrés, s’enchaînant comme les rounds d’un match de boxe où les répliques fusent comme des coups de poing. Des gags grotesques, prévisibles et attendus sont savamment amenés de manière à ne pas alourdir le propos et faire croire au spectateur qu’il assiste à la fable rieuse du grand auteur israélien. Frédéric Bélier-Garcia affirme n’être « ni dans le cabaret, ni dans le théâtre, ni dans le café-théâtre mais face à une obsession en marche. » La dimension obsessionnelle fonctionne car l’ensemble de la mise en scène s’apparente davantage à une bande dessinée avec de lourds clins d’oeils à de Funès et d’autres protagonistes du rire, qu’à une véritable course au bonheur, perdue d’avance. Avec sans doute moins de citations à une culture trop consensuelle, le metteur en scène aurait pu se rapprocher du propos de l’auteur, mais ici, le rire et le tour de chant sont à l’honneur et noient l’aventure dans un tourbillon étourdissant d’effets comiques manquants de légitimité. Dans un décor aussi kitch qu’étouffant, récréant fidèlement l’intérieur des petites gens, que Levin évoque si bien, les comédiens s’ébrouent, s’essoufflent et se courent après avec une justesse incroyable. Un canapé, entouré d’un meuble d’angle sur lequel reposent des bibelots, jouxte une estrade, de l’autre côté de laquelle se trouve un escalier rouge rappelant celui d’un cabaret de fortune. Des meubles hauts servant de bar, des plantes vertes, un micro autant d’objets insolites et pourtant si réalistes, contribuent largement à souligner ce sentiment d’étouffement. David Migeot (Leidental), imperturbable et déterminé, poursuit sa course éprouvante après son ami Yaacobi (Manuel Le lièvre) qui excelle dans un rapport scène/salle quelque peu forcé. Agnès Pontier (Ruth), hystérique et imprévisible, utilise son corps comme sa voix selon une courbe asymétrique. Une direction d’acteurs irréprochable pour une réalisation exigeante et tonitruante qui sert le texte d’Hanokh Levin avec force et persuasion.

Yaacobi et Leidental
Comédie en 30 tableaux et 12 chansons
De : Hanokh Levin
Mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia
Avec : Manuel Le Lièvre, David Migeot, Agnès Pontier
Musique : Reinhardt Wagner
Scénographie : Sophie Perez
Costumes : Petitpierre
Régie son : Hervé Coudert
Régie lumière : Guillaume Parra
Habilleuses : Gwénaëlle Noal et Pilar Ballester

Du 19 janvier au 26 février 2010

Théâtre du Rond Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris
www.theatredurondpoint.fr


Voir aussi :
La critique du livre
Yaacobi et Leidental

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