Critiques // « Vénus » de Suzan-Lori Parks au Théâtre de l’Athénée

« Vénus » de Suzan-Lori Parks au Théâtre de l’Athénée

Mar 12, 2010 | Aucun commentaire sur « Vénus » de Suzan-Lori Parks au Théâtre de l’Athénée

Critique de Dashiell Donello

Un sacré cul, hein ? Pas d’erreur entre le singe et l’homme, le chaînon manquant, c’est elle.

En entrant dans le magnifique théâtre de l’Athénée, (classé Monument Historique depuis 1996) la mise en scène nous promet qu’il y aura du théâtre dans le théâtre avec une scénographie approprié.

Au centre un lit, posé sur un plateau tournant, nous dévoile Vénus qui semble endormie, nous donnant l’image de la naissance de la Vénus de Botticelli, dans une version allongée et sans conque. Des cintres, sont tombés trois panneaux de toile. Ils attendent de figurer le bateau qui emportera Vénus en Europe. Au jardin, une loge où les comédiens feront leurs changements rapides. A la cour, la cage qui servira d’écrin  funeste à la Vénus hottentote. Le théâtre est presque nu, comme le sera notre héroïne dans quelques instants. Le rideau de fer tombe. La sonnerie retentit. La pièce peut commencer.

Vénus la pièce

Dans un coin d’Afrique du Sud, au début du XIXe siècle, le Frère  révèle à l’Homme un plan qu’il a cogité pour devenir riche. Il s’agit de faire danser une femme noire devant un public d’Anglais blanc. Une jeune servante noire au postérieur généreux, aux formes arrondies et avec une lascivité toute naturelle, attire son attention. Il lui promet l’or et la gloire, puis la persuade de partir en Europe.

Ils arrivent en Angleterre. Le Frère déserte et la jeune femme se retrouve vite à la merci de la Mère Montreuse de Phénomènes, patronne sans scrupules qui exhibe des monstres de foire.

La Fille est rebaptisée la Vénus hottentote, du nom de sa tribu, et devient l’attraction vedette. Elle expose cette morphologie spécifique des femmes hottentote, c’est à dire une hypertrophie graisseuse des hanches et des fesses allant jusqu’au sexe dont les lèvres pubiennes étaient allongées. La Vénus faisant ainsi rassemblement autour de son physique particulier, et ramenant de l’argent pour la Mère Montreuse.

Rapidement la Vénus défraie la chronique et offense la bonne moralité. Elle est convoquée devant le Tribunal pour atteinte à la pudeur. On se pose la  question de savoir si la jeune femme a agit de son plein gré.

In fine, la Vénus est relâchée. Le Baron Docteur, un anatomiste, en fait l’acquisition et l’amène à Paris pour l’étudier. Il tombe amoureux d’elle et en fait sa maîtresse, jusqu’à ce qu’il soit menacé de perdre sa réputation de scientifique.

Des scènes, d’une petite pièce, jouées pour le Baron Docteur, viennent s’intercaler. Elles mettent en scène les amours d’un jeune homme qui rappelle étrangement le Baron Docteur.

Vénus un puzzle où chaque pièce est une image

Dans un univers sonore et cinématographique, Cristèle Alves Meira, la metteuse en scène, nous donne à voir sur le rideau-écran du théâtre une histoire vraie. Elle nous propose à bord d’un train fantôme, d’aller de la fiction à la réalité. La pièce commence par la mort de la Vénus (Gina Djemba). À rebours, sur une table d’anatomie, elle reconstitue les morceaux du puzzle disséqués de la vie de la Vénus hottentote. Un guide, le noir Déterreur de cadavres (Julien Béramis) nous accompagne à travers le dédale des scènes et nous lit des extraits d’un document historique : 1 mètre 51.44 kilos et demi, « le cerveau pesait 1 kilo, le foie 1kilo 550, la vésicule biliaire mesurait 10 centimètres. La rate pesait 63 grammes, le pancréas 50 ». Ces poids et mesures funèbres désignent comme objet Vénus (ce qui est placé devant) et ce qu’elle avait dû endurer : la colonisation, l’esclavage, son abolition, et de sa condition féminine.

La réalité et la fiction sont mêlées par différentes techniques (Diapos, films, fumée, etc.) et le jeu des acteurs. Cette dichotomie s’opère pendant les petits intermèdes. A titre d’exemple les comédiens jouent derrière un écran où est projeté un film. Leur tête dépasse du cadre. Sur le film, on voit les corps d’autres personnages ce qui donne un effet comique. Ou bien encore une marionnette géante qui figure le tribunal, habille les comédiens qui, tour à tour, faisant apparaître leur tête en haut du pantin, miment par les gestes et mimiques  les magistrats en décalage avec un autre comédien (dans le ventre de la marionnette) qui parle à leur place. Cela est bien fait. Mais cette prolifération d’idées fait hiatus sur l’histoire et la concentration du spectateur en souffre un peu. Dans les scènes où la Vénus est en représentation dans la baraque de foire, on n’arrive pas à croire au personnage de la Mère Montreuse de Phénomènes (Cédric Appiotto) qui n’a pas trouvé l’épaisseur et la force d’un tel personnage.

A l’acte deux, la pièce débute avec un meilleur tempo. Le texte de Suzan-Lori Parks vient du jazz, les improvisations, les redites sont scandés. Sa prose rythmée donne l’idée d’une tragédie moderne. Gina Djemba, toujours aussi juste trouve son essor et incarne le mieux du monde son personnage. Les scènes avec le Baron Docteur (Laurent Fernandez) et Vénus sont subtiles dans les allusions de l’un et les espoirs de l’autre. Le dénouement terrible de la pièce arrive avec une énergie qui manquait à l’acte premier trop brouillon et cacophonique. Le fantôme de Vénus à la fin de la pièce Prisonnier du temps…  en quête de sépulture hante le théâtre et défie le regard du spectateur, nous dit justement Cristèle Alves Meira. On regrettera seulement trop de technologie et une mise en scène omniprésente, dans cette pièce pleine de lumière et d’humanité.

La Vénus, entre 1810 et 1816, à Londres puis à Paris, fut déshabillée, exhibée, caricaturée et battue. Elle mourut cinq ans plus tard des suites de ces mauvais traitements. Elle avait à peine 26 ans. Comble de l’horreur, elle fut disséquée et conservée dans du formol en pièces détachées au muséum d’histoire naturelle de Paris. Saartjie Baartman, de son vrai nom, a été ramenée de nos jours en terre africaine et repose en paix.

Vénus
De : Suzan-Lori Parks
Traduction : Jean-Pierre Richard
Mise en scène : Cristèle Alves Meira
Avec : Cédric Appietto, Julien Béramis, Gina Djemba, Laurent Fernandez, Céline Fuhrer, Mickäel Gaspar, Xavier Legrand

Du jeudi 11 au samedi 27 mars 2010

Théâtre de l’Athénée
Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, 75009 Paris
www.athenee-theatre.com

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