Critiques // « Vader (Père) », création de Peeping Tom, Théâtre de la Ville

« Vader (Père) », création de Peeping Tom, Théâtre de la Ville

Juil 10, 2015 | Commentaires fermés sur « Vader (Père) », création de Peeping Tom, Théâtre de la Ville

ƒƒƒ article de Denis sanglard

tn_Vader-c-Herman-Sorgeloos© Herman Sorgeloos

Cinglante et noire, la nouvelle création de Peeping Tom. La vieillesse est un sale naufrage. Autour de Léo, le vieux père largué dans un asile improbable, une étrange salle des fêtes, c’est toute la mythologie familiale qui est violemment remise en question. L’abandon du fils et sa culpabilité relative dans cet univers presque carcéral, l’émiettement des relations familiales et sociales… et la folie, la mort qui rôde. La déchéance du vieux Léo marque aussi l’impuissance d’une société devant une échéance inéluctable où chacun semble démuni, se dévoue ou se défausse. Dans cette salle des fêtes et banquets donc où errent quelques vieillards inoccupés débarque Léo, traîné là – littéralement – par son fils. Léo, lâché dans ce nouvel environnement, glisse lentement dans un délire qui vire au cauchemar. La réalité se brouille, se dissout. Les visions qui l’assaillent peu à peu, bientôt hors de tout contrôle, ne se distinguent plus de son quotidien. C’est une descente en enfer hallucinée. Peeping Tom distille jusqu’au malaise ce dérapage, cet engloutissement progressif. Sous le vernis réaliste du début sourd déjà une étrangeté angoissante, un malaise diffus et oppressant. Illusions. Les objets devenus autonomes ne répondent plus, un balai devient plus qu’un balai, les corps se désarticulent sans raison apparente, se contorsionnent, échappent à toute maîtrise. Lentement la réalité bouffonne et malicieuse mais bientôt cauchemardesque de Léo, sa détresse, envahit cet hospice, empoisse ses relations. Peeping Tom joue habilement de ce contraste entre réalité et hallucination jusqu’à les fusionner. C’est le chaos dans la tête de Léo. Jusqu’à ce que le cauchemar devienne sa seule réalité. C’est d’une théâtralité culottée et sans fard que souligne la scénographie. La scène érigée au fond de cette salle des fêtes si haute de plafond et qui nous vaudra une scène hilarante de nettoyage, salle qui n’est pas sans rappeler Kontakthof de Pina Bausch mais dans une version belge surréaliste et trash, cruellement permet de théâtraliser le pire d’une vérité, d’une réalité jusque-là volontairement dissimulée, en le désamorçant. Ainsi le corps nu, défait et devenu impotent du fils devenu vieux à son tour y est lavé. Scène d’exposition, obscène au sens premier du terme et terriblement juste, et qui renvoie à une réalité incontournable. Car nul n’est épargné, le fils devenu naturellement le père de son père est un vieillard grabataire en devenir. Lui-même rejeté par son fils dans une scène terrifiante d’invectives sur ce même plateau qui le voit impuissant. Laquelle n’était peut-être alors qu’un concours, un exercice d’improvisation. Par cette théâtralité affirmée volontairement Peeping Tom évite ainsi toute compassion et met à distance son sujet. Vision pessimiste d’une société où le père, dans son approche mythologique et sociologique est désormais évacué à l’heure de la déchéance. Cette évacuation et ses conséquences, ses rhizomes qui finissent par surgir de façon impromptue, Peeping Tom les accentue, les cristallise par la danse. C’est elle qui, émergeant de façon souterraine et soudaine, abruptement exprime le mal être de ces vieillards en perdition, souligne l’absurdité des situations réelles ou fantasmées de Léo et gangrène une société malade de ses vieux, témoins impuissants de notre malaise pire de notre indifférence. Tout n’est pas noir pourtant. L’humour, avant qu’il ne cède la place au tragique, et la formidable vitalité de Léo avant qu’il ne sombre, permet parfois un ton décalé, un trou d’air bienvenu dans cette vision oppressante et noire. L’image de Léo jouant du piano comme un forcené, lequel bientôt l’engloutira, entouré de ses groupies, est un concentré furieux de joie de vivre avant que la folie ne l’emporte. On sort de cette création quelque peu estomaqué. Mais la danse et la théâtralité des corps, signature de Peeping Tom, évitent l’écueil d’un réalisme qui ne serait que triste voyeurisme.

Vader (Père)
Création de Peeping Tom
Mise en scène de Franck Charlier
Aide à la mise en scène et dramaturgie Gabriela Carrizo
Assistante artistique Seoljin Kim, Camille de Bonhome
Composition sonore et arrangements Raphaëlle Latini, Ismaël Colombani, Eurudike de Beul, Renaud Crois
Mixage audio Yannick Willox
Conception lumières Giacomo Gorini, Peeping Tom
Costumes Peeping Tom et Camille de Bonhome
Conception décors Peepin Tom et Amber Vandenhoeck
Création et interprétation Leo de Beul, Marie Gyselbrecht/Tamara Gvozdenovic, Hun-Mok Jung, Simon Versnel, Maria Carolina Vieira, Yi-Chun Liu, Brandon Lagaert
Avec l’aide d’Eurudike de Beul
Figurants Alian Corneloup, Christine Bôle-Richard, Annie Ducol, Chantal Mercier, Marina Petrella, Hervé de Saint Riquier, Maria Ciezar, Anne-Marie Protat, Gladys Cahu, Marc Destailleurs

Du 8 au 11 juillet 2015 à 20h30

Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet – 75001 Paris

Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

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