Critiques // « Une Phrase pour ma Mère », lamento-bouffe de Christian Prigent à la Maison de la Poésie

« Une Phrase pour ma Mère », lamento-bouffe de Christian Prigent à la Maison de la Poésie

Jan 17, 2011 | Aucun commentaire sur « Une Phrase pour ma Mère », lamento-bouffe de Christian Prigent à la Maison de la Poésie

Critique de Bruno Deslot

Un cordon qui se déroule !

Mère Courage, mère de bataille, mère de douleur… toutes ces figures tutélaires qui enfantent l’humanité méritaient bien Une phrase aussi longue qu’improbable !

Sans majuscule ni point pour la finir, cette Phrase pour ma mère se déroule comme un cordon ombilical le long duquel les mots s’enchaînent sans sens apparent, mais par allitérations, paronomases, cousinages sonores et glissements sémantiques. Les figures de style s’additionnent et donnent du rythme à une composition qui exploite un alphabet du corps avec une grande prédilection pour la lettre Q, consonne qui préoccupe l’auteur, Christian Prigent, dans sa manière de rapporter l’histoire de cet homme névrosé parlant de son rapport à sa mère. Naître est une violence, vivre une condamnation, celle de comparaître devant les assises de son Moi intérieur ! Deux cents pages, dans le texte original de Christian Prigent, ramenées à trente cinq par Jean-Marc Bourg pour dire et expulser le flot impétueux de ces paroles profanes évoquant le rapport à la mère.

© Didier Leclerc

Dans le noir complet, Jean-Marc Bourg susurre « ainsi je commence une phrase sur ma mère, ma mère je me souviens, j’étais très petit dans l’émoi du lit… » avec une voix suave, chaude et rassurante. C’est le calme avant la tempête, la gestation avant l’expulsion définitive vers la vie, un combat sans cesse renouvelé situé entre rétention anale et complexe d’Œdipe dans sa forme la plus accessible et bouffonne, comme l’indique le sous-titre du spectacle : « Une phrase pour ma mère, Lamento-bouffe de Christian Prigent ». L’humour s’immisce dans les interstices du texte par un effet de répétition, de jaillissement inattendu de mots valises faisant résonner des propos grotesques emprunts d’une certaine contemporanéité cueillant le spectateur qui oscille entre un état de probable léthargie et de surcharge cognitive, réussite imminente pour un texte qui trouble davantage par sa vacuité que par sa consistance. Mais le style est bien maîtrisé, et fort heureusement les mots sont interprétés de manière confondante par Jean-Marc Bourg qui donne à cette Phrase pour ma mère une dimension définitivement théâtrale.
Le comédien exploite le rythme du texte avec une intelligence exceptionnelle et une précision scénique qui donne à la composition toute la consistance qui lui manque. Jean-Marc Bourg souffre d’un virus qu’il s’est inoculé « La Langue… une maladie contagieuse ». Seul en scène, accompagné d’un éclairage mettant en lumière ses propres émotions, Jean-Marc Bourg nous livre avec force et fracas sa propre adaptation du texte de Christian Prigent avec une puissance dramatique incroyable, une précision du phrasé déconcertante dans une tension quasi palpable et totalement jouissive. Les mots sont sans cesse relayés par les gestes du comédien qui, dans un souffle haletant, confesse son errance dans une douleur extatique ressassée par des champs lexicaux créant l’obsession. L’apparition de sensations voluptueuses, l’intuition des jeux sexuels auxquels un enfant de trois ans pourrait se livrer sont bien réels et incarnent la dimension phallique du propos. Le complexe de castration demeure une énigme pour une partition dans laquelle le père est absent, ce qui donne toute sa force à cette quête obsessionnelle du phallus ou du « fascinus » comme dirait Pascal Quignard ! En apparence, les dérapages face à l’ordre établi sont nombreux et l’on pressent, chez ce jeune homme qu’interprète Jean-Marc Bourg, que le trouble est total, mais avec une certaine sagesse tout de même, laissant une forme d’amertume à la fin du spectacle et une envie pressante de se replonger dans « Ma mère » de Georges Bataille (1897-1962). Certes, Prigent ne joue pas dans la même cour que Bataille, mais sa manière de faire naître les choses par le bas mériterait très certainement d’être moins policée afin d’emporter le spectateur vers davantage de désir transgressif ! Car tout repose sur l’interprétation exceptionnelle de Jean-Marc Bourg, mettant en perspective la moindre émotion la plus intimement inavouable et la mieux dissimulée.

Une Phrase pour ma Mère
De : Christian Prigent (Ed. P.O.L)
Mise en scène et jeu : Jean-Marc Bourg
Lumière : Christophe Forey ou Olivier Modol

Du 12 janvier au 13 février 2011

Maison de la Poésie
Passage Molière, 157 rue Saint-martin, 75003 Paris
www.maisondelapoesieparis.com

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