Critiques // « Une Banale Histoire » de Tchekhov, mise en scène Marc Dugain au Théâtre de l’Atelier

« Une Banale Histoire » de Tchekhov, mise en scène Marc Dugain au Théâtre de l’Atelier

Jan 24, 2011 | Aucun commentaire sur « Une Banale Histoire » de Tchekhov, mise en scène Marc Dugain au Théâtre de l’Atelier

Critique d’Audren Destin

« Une Banale Histoire », mise en scène au Théâtre de l’Atelier par Marc Dugain est une pièce librement adaptée d’une nouvelle de Tchekhov.
Pourquoi adapter cette nouvelle particulièrement ? Marc Dugain apporte plusieurs réponses. Tout d’abord, ce texte a été écrit juste après l’échec au théâtre d’« Oncle Vania », et il semblerait que d’une certaine manière il reflète l’hésitation de l’auteur de revenir à la scène. Le professeur Stepanovitch, incarné par Jean-Pierre Darroussin, jette un regard acerbe sur le milieu du théâtre qu’il juge médiocre, et se demande quel est l’utilité d’un tel art : « si une pièce est bonne, il n’est nul besoin d’importuner les acteurs, il suffit de la lire ». D’autre part, ce médecin ressemble par certains traits à Tchekhov lui-même. Comme lui, il se sait condamné à mourir bientôt (Tchekhov savait que la tuberculose finirait par l’emporter) et, comme lui, il entretient des relations confuses avec les femmes.

« Que fait l’arbuste sans tuteur? – Il pousse de travers »

Le texte de la nouvelle est écrit sous la forme d’un journal, tenu par Nicolaï Stépanovitch lui-même. C’est donc d’une manière assez évidente que la mise en scène suit le cheminement intellectuel de ce personnage. Grand médecin, professeur émérite, il est arrivé au terme de son parcours. Proche de la mort, il tente de tirer quelques leçons de son existence. Toutes les sollicitations dont il fait l’objet paraissent alors dérisoires. C’est un homme dont les rêves se sont réalisés. Il ne lui reste plus qu’à ne pas gâter la fin, mais il la gâte. Il est maintenant vieux, aigre, insomniaque, les yeux obscurcis par la crainte des lendemains difficiles, rongé par des problèmes de roubles et de kopecks. Bref, il est fauché et il ne lui reste pas plus de six mois à vivre. Il ne jure que par la science, qui est selon lui ce qu’il y a de plus beau et d’utile, « par elle seule, l’homme vaincra la nature et se vaincra lui-même ». Ce grand professeur autrefois bienveillant est aujourd’hui hargneux, discourtois, bien peu disposé à aider ses étudiants, et c’est avec un malin plaisir qu’il éconduit le malheureux qui a l’idée saugrenue de venir lui demander conseil. Il est entouré de sa femme et également de sa pupille avec qui il entretient une relation ambigüe, d’une intensité au-dessus de ses dernières forces. Elle, le voyant devenir irascible et méchant, lui conseille de tout plaquer, sa femme et sa vie, et de recommencer ailleurs.

« Si on se met à philosopher, cela veut dire qu’on ne comprend pas »

La mise en scène est “classique” et relativement sobre, avec des décors et des costumes simples qui servent à recréer une atmosphère d’époque et à concentrer l’attention sur le jeu des acteurs. Le ton est mélancolique, entrecoupé par des bouffées caustiques. Jean Pierre Darroussin est d’une grande justesse et incarne à merveille ce vieil homme aigri et désabusé. Toute la pièce repose sur lui ; on suit ses pensées, ses ressentiments, ses états d’âmes. Par petites touches, avec beaucoup de finesse et d’humour, il dévoile les différentes facettes de son caractère. Se déplaçant avec lenteur ou recroquevillé sur sa chaise, l’œil sombre et las, ou teinté d’ironie, il fait véritablement corps avec son personnage et, par un geste, une mimique ou un simple regard, il réussit à nous faire partager ses émotions.

À l’hôtel de Kharkov, assis sur le lit à attendre sa névralgie, il songe : « l’indifférence n’est pas la sagesse, c’est une paralysie de l’âme ». Chaque pensée, chaque sentiment, vit pour son propre compte, il n’y a pas d’idée générale, c’est de cela que provient l’indifférence.

Une Banale Histoire
D’après : Anton Tchekhov
Adaptation et mise en scène : Marc Dugain
Avec : Jean-Pierre Darroussin, Alice Carel, Gabrielle Forest, Michel Bompoil, Adrien Bretet
Décor : Noëlle Ginefri
Lumières : Franck Thévenon Costumes : Magda Oueslati
Collaboration artistique : Séverine Poupin-Vèque

Du 11 janvier au 1er mai 2011

Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin, 75018 Paris – Réservations 01 46 06 49 24
www.theatre-atelier.com

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