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« UND » de Howard Becker, Mise en scène Jacques Vincey, Athénée-Louis Jouvet, Paris Quartier d’Eté

Juil 23, 2015 | Commentaires fermés sur « UND » de Howard Becker, Mise en scène Jacques Vincey, Athénée-Louis Jouvet, Paris Quartier d’Eté

ƒƒ article de Denis Sanglard

 

Crédit photo Christophe RAYNAUD DE LAGE

Crédit photo Christophe RAYNAUD DE LAGE

 

Qui est cette femme figée dans ce fourreau rouge qui l’enserre, dans ce décor de glace qui se fracasse autour d’elle dans un bruit assourdissant ? Elle est juive, affirme, avant de le démentir, être aristocrate. Prise dans les rets d’une passion, dans l’attente d’un homme qui ne vient pas, qui viendra peut-être, qui sans doute est là. Long monologue interrompu par une cloche intempestive qui annonce peut-être l’être aimé, redouté et attendu, et commande ses sentiments entre l’impatience et la peur, le renoncement et l’horreur. Le thé est froid, les domestiques ne répondent pas, ne répondent plus. La solitude est glaçante. Le texte se délite, tombe goute à goute, ou par morceaux, par pans entiers, comme pleurent et chutent sous la chaleur des projecteurs ces stalactites glacées suspendues, une pluie incessante qui scande, imprime de leur rythme irrégulier et pointu, agaçant, ses phrases qu’elle ne termine jamais ou rarement. La pensée fuse, file, fuit, se détache par bloc et s’écrase soudain comme s’effondrent les pains de glace sur le plateau. On ne comprend à vrai dire pas grand-chose et qu’importe. Est-il aussi question de la shoah ? Sans doute et peut-être pas. A nous de nous débrouiller dans cet écheveau volontairement confus, troué de silence, ce « théâtre de la catastrophe » comme le définit Howard Becker lui-même. Il faut simplement se laisser happer, emporter. Saisir au vol ce qui est énoncé pour tout aussitôt y renoncer. Accepter l’effondrement de nos certitudes ou de nos suppositions. Entendre les silences démentir ce qui quelques instants plus tôt fut énoncé. Etrange et singulière expérience que porte haut la voix de Nathalie Dessay. Une voix transie d’amour et d’effroi qui libère ce corps entravé, planté au centre du plateau, éclaboussé d’eau glacée.

Nathalie Dessay s’empare de ce texte comme elle attaquait les vocalises de la reine de la nuit ou la partition d’Olympia. Une rigueur musicale enflammée accordée à une formidable intuition de la scène et du théâtre. « Und », les premiers pas de Nathalie Dessay au théâtre, n’efface pourtant pas la singularité de la chanteuse. De sa voix elle joue comme d’un instrument au service de ce texte ardu et même, écrivons-le, abscons. Une voix modulée qui trahit par ses couleurs, ses variations une palette d’émotions fébriles et versatiles. Elle articule, surarticule, broie le texte mâché jusqu’à en recracher le suc, marmonne, murmure, invective sans pour autant ne jamais chercher à résoudre l’énigme posée : qui est-elle, où sommes-nous, qu’est-il dit. Dans le silence des phrases inachevées, dans l’écoute hallucinée de la cloche comminatoire, elle préserve entier le mystère, le contenu du texte. Des images surgissent, aussitôt brouillées ou noyées dans l’effondrement aléatoire du décor ou des émotions contradictoires que souligne l’immobilité fiévreuse et fragile du corps intelligemment surdimensionné juché sur un tabouret que dissimule le fourreau rouge. Maquillée, emperruquée et vêtue comme une diva, attribut dont elle joue et se défera pour n’être plus qu’elle-même. Seulement voilà, tout cela est si parfait, impeccable et maîtrisé et sans doute dans le désir légitime d’être reconnue comédienne, ce que sans conteste nous savions déjà qui perçait merveilleusement sous la chanteuse d’opéra, l’émotion disparait sous l’application. Tout est contenu, retenu. Il manque un réel lâcher prise, une folie latente pour obtenir un petit supplément d’âme, adhérer pleinement aux tourments de ce personnage singulier. Faire d’une formidable et intelligente performance, un vrai moment de théâtre, de ceux qui révèlent les fragilités et les failles et font de ces moments privilégiés des rencontres uniques. Certes la difficulté du texte, sa complexité et l’audace crâne avec lequel Nathalie Dessay s’en empare ne peut qu’emporter les suffrages. On ne peut qu’aimer. Ou pas. Mais à l’aune de la difficulté et de la volonté on s’incline forcement.

PS : Mais il faudrait rendre à Phia Menard ce qui lui appartient. La scénographie aussi impressionnante soit-elle lui doit, me semble-t-il, tout. « P.P.P », formidable performance qui interrogeait le genre et l’identité, reprise cette année au Montfort, usait du même procédé. Des cintres la glace chutait, menaçant la performance et Phia Menard, superbe jongleuse qui déambulait sur le plateau. Une scénographie signée de Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault. Certes les pains de glaces, plus nombreux, étaient moins imposants, question de différence de budget sans doute. Alors hasard, hommage ou plagiat ? Ce « détail » a son importance tant la représentation me fut (presque) gâchée par cet étrange copié-collé.

 

UND
De Howard Becker
Mise en scène de Jacques Vincey
Texte français et dramaturgie, Vanasay Khamphommala
Scénographie, Mathieu Lorry-Dupuy
Lumière : Marie-Christine Somma
Assistante Lumière, Pauline Guyonnet
Musique et sons, Alexandre Meyer
Costumes, Virginie Gervaise
Maquillage et perruque, Cecile Kreshmar

Avec Nathalie Dessay et Alexandre Meyer

Du 21 au 24 juillet 2015 21h

Festival Paris Quartier d’été

Théâtre de l’Athénée Louis Jouvet
7 rue Boudreau – 75009 Paris
Réservations : 01 44 94 98 02
www.quartierdete.com

« Und » est programmé au Théâtre de la Ville (théâtre des Abbesses) du 29 avril au 14 mai 2016.

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