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Critique • « Un Fil à la Patte » de Georges Feydeau à la Comédie Française

Déc 13, 2010 | Aucun commentaire sur Critique • « Un Fil à la Patte » de Georges Feydeau à la Comédie Française

Critique de Denis Sanglard

Une course folle

‘Comment se débarrasser de sa maîtresse le jour de son mariage avec une riche héritière…’ résume petitement «Un fil à la patte», vaudeville de Feydeau, porté à son incandescence par une troupe déchaînée à qui le metteur en scène, Jérôme Deschamps, a laissé subtilement la bride sur le coup. Jamais sans doute la Comédie Française n’avait retrouvé cette énergie folle. Une ronde endiablée qui semble ne plus pouvoir s’arrêter et donne le tournis à une salle hilare.

© Brigitte Enguerand

La mécanique implacable de Feydeau entraîne ses personnages dans une course hallucinante, absurde. Sans pour autant négliger de dessiner de vrais caractères. À y regarder de près, ses personnages sont cyniques et lucides dans un monde ou l’argent et les sentiments se monnayent. Résumé par Vivianne la promise, pas si oie blanche que cela, « pourquoi désire-t-on une chose ? Parce que les autres la désirent. Qu’est-ce qui fait la valeur d’un objet ? L’offre et la demande », on ne saurait mieux dire. Dans cette cavalcade, dans cet ouragan de quiproquos, les intérêts des uns se mêlent toujours à celui des autres. C’est un enchaînement de situations individuelles mue par l’intérêt .
Avec ça une écriture musicale, un rythme insensé, infernal, parsemé de mots d’esprit qui semblent échapper à leurs auteurs, sans calcul, d’où le rire qui secoue la salle. On rit des situations inextricables mais aussi de qui est énoncé à toute vitesse, presque par mégarde.

© Brigitte Enguerand

Une troupe déchaînée

Jérôme Deschamps s’est appuyé sur une troupe rompue à cet équilibre délicat demandé par Feydeau. Car il s’agit vraiment de trouver une énergie commune, un ton d’ensemble particulier. Comparaison n’étant pas raison on ne saurait s’appuyer sur la mise en scène désormais célèbre de Charon de 1961. Cependant, ce qu’on retrouve, c’est ce même allant, cette folie commune qui traverse le plateau. Les « anciens », Dominique Constanza en tête, semblent avoir communiqué cet art précieux aux  nouveaux. Christian Hecq, dans le rôle emblématique de Bouzin, réussit ce pari audacieux de faire oublier son écrasant ainé dans ce rôle, l’immense Hirsh. Judicieusement, car la prestation donnée trouve sans aucun doute son levier dans la performance de ce dernier. Ce qu’il fait est proprement ahurissant. De ce Zébulon secoué de spasmes incontrôlables, de plus en plus dépassé par les événements, on retiendra entre autres une façon bien particulière de monter et descendre les escaliers. Tous les acteurs sont ainsi au diapason.

© Brigitte Enguerand

La mise en scène de Jérôme Deschamps est ainsi parsemée avec humour de clins d’œil à la mise en scène de Charon, hommage discret à un héritage qui ne l’encombre pas plus que cela. Il s’appuie avec bonheur sur une troupe que l’on avait rarement vu depuis longtemps aussi engagée et débridée. Il faudrait les citer tous tant chacun apporte à son personnage et à l’ensemble une  inventivité et une richesse de cinglés. Laurent Peduzzi, le décorateur, intelligemment n’encombre pas le plateau. En respectant les didascalies très précises de Feydeau, il permet ainsi une circulation des corps toujours en perpétuel mouvement que rien ne semble pouvoir retenir. Les costumes somptueux de Vanessa Sannino participent à l’ensemble par des détails complètement loufoques et disproportionnés qui sont autant de régals pour les yeux que de signes d’une folie latente chez les personnages à priori les plus sains d’esprit de l’ensemble… À l’exemple des étoles animalières invraisemblables de la baronne Duverger (Dominique Constanza) ou la coiffe bigoudène de Marceline (Claude Mathieu) qui semble s’allonger à chaque nouvelle apparition. Tout concoure ainsi au succès de cette création démentant en partie cette prophétie de Feydeau « Il ne restera peut-être rien de mon théâtre, sauf Feu la mère de Madame, mais il faudrait que ce soit joué à la Comédie Française ».

Un Fil à la Patte
– Molière 2011 du théâtre public, du comédien (Christian Hecq), et du comédien dans un second rôle (Guillaume Gallienne) –
De : Georges Feydeau
Mise en scène : Jérôme Deschamps
Avec : Dominique Constanza, Claude Mathieu, Thierry Hancisse, Florence Vial, Céline Samie, Jérôme Pouly, Guillaume Galienne, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Hervé Pierre, Gilles David, Christian Hecq, Georgia Scalliet, Pierre Niney, Jérémie Lopez, Antoine Formica, Marion Lambert, Arianne Pawin, François Praud, , Sandrine Attard, Agnès Aubé, Patrice Bertrand, Arthur Deschamps, Ludovic Le Lez
Décors : Laurent Peduzzi
Costumes et maquillages : Vanessa Sannino
Lumières : Roberto Venturi
Arrangement musical : Bruno Fontaine
Assistant à la mise en scène : Laurent Delvert
Assistante aux maquillages : Anna Filosa

Du 04 décembre 2010 au 18 juin 2011
Reprise du 2 décembre 2011 au 22 juillet 2012

Comédie Française
Place Collette, Paris 1er
Métro Palais-Royal Musée du Louvre – Réservations 0825 10 1680 (0.15 € TTC/min)
comedie-francaise.fr

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