Critiques // Trust/Shakespeare/Alléluia de Dieudonné Niangouna, publié par Les Solitaires Intempestifs

Trust/Shakespeare/Alléluia de Dieudonné Niangouna, publié par Les Solitaires Intempestifs

Avr 22, 2020 | Commentaires fermés sur Trust/Shakespeare/Alléluia de Dieudonné Niangouna, publié par Les Solitaires Intempestifs

 

 

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Le dernier texte de Dieudonné Niangouna, Trust/Shakespeare/Alléluia, publié par Les Solitaires Intempestifs en janvier 2020 a été créé à la MC93 de Bobigny en septembre 2019 avec 16 comédiens.

 Cette pièce fait partie de la catégorie des pièces épiques de l’auteur congolais, également connu depuis son succès à Avignon en 2007 avec Attitude Clando, pour ses monologues.

Dieudonné Niangouna poursuit son écriture poétique, imagée, manipulant la langue française procédant en un détournement contemporain de tous les grands héros shakespeariens, tout au long de 12 chapitres (auxquels s’ajoutent un prologue, un entracte et un épilogue de Puck) : Hamlet échappé de l’asile, erre dans un cimetière ; Othello vient se recueillir sur la tombe de Macbeth ; Lear fait la manche dans le métro et se suicide sur ses rails ; Prospero et Ariel sur Mars voient arriver une soucoupe volante ; Viola se noie dans l’océan ; Ophélia fait plusieurs burn out ; Tamora se fait sauter avec une ceinture explosive, César roule en Porsche…

En outre, de nombreuses autres références au théâtre shakespearien essaiment le texte via des répliques d’apparence anodines qui ont pour mérite le cas échéant de resituer le personnage objet du chapitre dans son œuvre d’origine (« Le reste c’est beaucoup de bruit pour rien » ; « Fais pas ton marchand de Venise, docteur », « Un cheval ! un cheval ! Mon Royaume pour un cheval ! », « C’est la tempête ! », « m’apprivoiser (…) suis pas une mégère »…).

Ces grandes figures sont démythifiées, descendues de leur piédestal, impression permise et renforcée par la trivialité récurrente de certaines répliques, par une sorte de déclassement de leurs « types » les rendant communs, par l’emploi du langage de la rue (wesh, graves, sérieux, à la raie…), par l’utilisation de diminutifs (Dédé pour Desdémone, Othé pour Othello…), ou encore par des références à la culture populaire (« Je suis ton père », Beyoncé…).

Les jeux de mots se succèdent dans différents registres de langue (« ce fils de puk »). L’écriture est dynamique, foisonnante, imagée, rythmée, faite pour être déclamée, hurlée, voire slamée et suppose de manière évidente de la part des comédiens qui s’emparent des textes, une énergie corporelle particulière, certains monologues (par exemple celle du « féminivore » Gloucester) ou répliques relevant de la performance non seulement par leur longueur, mais aussi par l’insertion de néologismes, et phrases entières dans des langues partiellement inventées qui laissent peu de repères et peuvent parfois perdre aussi le lecteur ou spectateur. En tout état de cause, la qualité des chapitres est toutefois inégale et les interactions créées entre tous les personnages ne convainc pas toujours complètement, non plus que le fil rouge entre eux constitué par leur rapport au docteur Serge, qui les psychanalyse sur un plateau télé.

Sur le plan dramaturgique, le procédé consistant à faire du théâtre dans le théâtre est intéressant, bien que ni nouveau, ni exploité aussi loin qu’il aurait pu, mais invitant efficacement à s’interroger sur le rôle de l’artiste et du théâtre. Hamlet interpelle ainsi des membres de sa famille venus le chercher avec les forces de l’ordre : « Vous êtes des comédiens ! » ; Macbeth affirme « nous ne sommes que des personnages » ; « cette loufoquerie de comédien braillant sur scène avec sa pantomime de tragédien » ou encore : Lady Anne répondant à Serge : « c’est du spectacle. C’est un comédien qui est venu jouer son rôle » …

Au-delà des apparences, ou en tout cas de la forme, le propos de Dieudonné Niangouna se fait aussi politique, en s’attachant à souligner en guise de fil rouge une des questions transversales au théâtre shakespearien, qui est le rapport au pouvoir. Macbeth regrette ainsi « la solitude du pouvoir » ; un discours au Parlement d’un personnage non shakespearien, double de Lady Macbeth évoque l’importance de « garantir la sécurité pour tous les amis de la démocratie, de la liberté d’expression et de la bonne gouvernance » ; le peuple est étrillé dans une sorte de renversement ou substitution aux élites, accusé de trafic d’influence ou de compromission ; le psychanalyste salue les spectateurs de son talk show par un « Amis de la démocratie, de la liberté d’expression et de la bonne gouvernance » ! Lear le « roi défait » ne sait à qui s’adresser : « On ne peut pas me faire juger à la Cour pénale internationale, suis trop balèze ! », non plus que Catharina qui ne veut pas se mettre « la pression du moment qu’il n’y a pas de cour pénale qui » l’attend avant de constater que « les incapables qui dirigent le monde comme une maison close arrivent à ne rien résoudre »…

Le théâtre est écrit avant tout pour être joué. On ne peut que s’impatienter de la prochaine occasion de voir sur un plateau une pièce de Dieudonné Niangouna. En attendant, se plonger dans ses textes comme lecteur est également une belle expérience, que l’on peut prolonger en déclamant soi-même son texte et en partageant l’idée avec des amis en visioconférence avant de profiter de l’offre exceptionnelle de captations de spectacles vivant relayée par le blog régulièrement !

 

 

Trust/Shakespeare/Alléluia de Dieudonné Niangouna,

Les Solitaires Intempestifs, janvier 2020, 122 p.

 

 

 

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