Critique de Denis Sanglard –

Alfredo Arias adapte pour la scène Truismes de Marie Darrieusecq. Où l’histoire de Zoé, femme métamorphosée en truie dans un monde veule, une société vulgaire en bout de course. De ce conte fantastique d’une terrifiante cruauté, humaniste et féministe paru voilà plus de dix ans, Alfredo Arias propose un « animal road movie ». Il multiplie les personnages, ceux là même qui approchèrent la truie et l’exploitèrent. Personnages monstrueux qui n’offrent comme réponse à la souffrance de Zoé que violence et perversion. Endossant chaque rôle, il éclate ainsi le récit, Zoé n’étant plus qu’un témoin de sa déchéance, que chacun décrit pour avoir abusé d’elle.
Il y a, affichée, outre son goût du travestismes, une volonté de performance. Et c’est là que le bât blesse. Une succession de portraits ne fait pas une mise en scène. Alfredo Arias est à la parade qui brosse à grands traits ces personnages. Costumes et masques, comme toujours somptueux, ne donnent malheureusement aucune profondeur à chacun des protagonistes devenus simples silhouettes s’agitant en vain, d’allers en retours d’un bord à l’autre du plateau. Et l’on reste, platement, au niveau du récit, lequel, sans remettre en question la sincérité du propos, perd de sa force. Malgré son actualité, par quelques saillies sur notre actualité politique, et parce que la richesse du roman tenait aussi et surtout à cette lente métamorphose, à ce fantastique qui ici s‘évanouit.

© Lauwrence Perquis

En inversant la temporalité, on ne voit dés la première scène que le résultat final, Zoé en truie, le fantastique est évacué… La métamorphose devient une anecdote. Et loin de vouloir plaquer absolument le roman sur le plateau, c’est impossible, son adaptation néanmoins ne résiste pas à ces monologues successifs débités par des pantins mécaniques et caricaturaux qui entrent chacun à leur tour et tournent autour de notre truie-objet sans âme, mannequin de latex assise sur une chaise.
Manque également la dimension charnelle, érotique, l’appétence sublime au sexe de Zoé quand incarnée par Alfredo Arias elle n’est réduite qu’à un masque et un corps pataud engoncé dans un costume de scène. Ne reste qu’un conte naïf et cruel. Où est l’humanité de cette femme qui trouve brièvement et magnifiquement l’amour dans les pattes d’Yvan, l’homme-loup ? Où est cette truie qui dans sa déchéance observée, assumée, trouve sa liberté ? Très certainement dans le film de Antoni Aloy, réalisateur espagnol, qui s’intercale artificiellement entre chaque récit, surtout entre chaque changement de costumes. Cette projection est salutaire qui ne sauve pas l’ensemble mais donne une vision forte, juste, du roman. La truie que campe Pepa Charro dans ce film est impressionnante d’animalité brute, de sensualité et de féminité. On se surprend à rêver d’un long métrage peut être plus à même de traduire la singularité du roman tant cette réalisation nous laisse sur notre faim. Cette projection et cette interprétation en complet décalage avec le reste offre un contrepoint qui dénonce brutalement l’absence ou la faiblesse d’un vrai point de vue dramaturgique qui ne s’arrêterait pas au texte.

Truismes
D’après : Marie Darrieusecq
Mise en scène et interprétation : Alfredo Arias
Adaptation théâtrale : Alfredo Arias, Gonzalo Demaria, Marie Darrieusecq
Costumes : Chloé Obolensky
Musique : Bruno Coulay
Lumières : Dominique Bruguière
Film : Antoni Aloy avec Pepa Charro
Masques : Daniel Cendron

Du 8 novembre au 4 décembre 2011
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h (relâche le 13 nov.)

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, Paris 8e
Métro Franklin D. Roosevelt – Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

Reprise du 20 au 22 janvier 2012
104 / Centquatre
5 rue Curial, Paris 19e
M° Riquet, Crimée — Réservations 01 53 35 50 00
www.104.fr

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