Critiques // « Têtes Rondes et Têtes Pointues » de B. Brecht au Théâtre Gérard Philipe

« Têtes Rondes et Têtes Pointues » de B. Brecht au Théâtre Gérard Philipe

Jan 13, 2011 | Aucun commentaire sur « Têtes Rondes et Têtes Pointues » de B. Brecht au Théâtre Gérard Philipe

Critique d’André Antébi

Au pays de Yahoo, vivent en apparente harmonie deux ethnies que l’on distingue à la forme de leur crâne. Les uns ont la tête ronde, les autres, la tête pointue. Dans ce pays il y a des fermiers et des propriétaires terriens, des exploiteurs et des exploités, des riches et des pauvres. Puis vient le temps où les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. Or, la classe dirigeante connait ses classiques et sait que ce genre de situation est la plus belle matrice des révolutions. D’ailleurs, des voix commencent à s’élever et nombreux sont ceux qui parlent de rejoindre le mouvement de La Faucille. Dès lors une idée jaillit dans la tête ronde des puissants : désigner les têtes pointues comme responsables de tous les maux qui pèsent sur le peuple, ordonner une série de mesures visant à faire des têtes pointues des êtres de non-droit, puis les exterminer.

© Anne Nordmann

Cette fable, écrite entre 1931 et 1936, fut commencée en Allemagne à l’époque où Hitler poursuivait son irrésistible ascension, puis achevée aux Etats-Unis où Brecht émigra après l’élection de 1933.
On reconnait naturellement dans cette pièce tout l’art de la parabole de Brecht. À travers son univers clownesque, le décalage permanent vers l’absurde et le cabaret, l’auteur nous plonge au cœur du système totalitaire hitlérien, son arbitraire et son idéologie raciste. L’engagement communiste de Brecht est également très présent, notamment à travers l’organisation de La Faucille, porteuse de l’espoir d’une unité retrouvée.

Le metteur en scène, Christophe Rauck,  a un mot pour parler des personnages de cette pièce. Il les décrit comme  « des clowns noirs ».  L’image est belle. On imagine des clowns sortis d’outre tombe pour témoigner de l’horreur en chantant…
Sur le plateau de du Théâtre Gérard Philippe, ces clowns sont tous masqués d’un tissu qui leur uniformise la peau et leur donne l’apparence de statues de cire. On finit même par oublier le masque pour ne plus voir que ces étranges figures, troublantes voire menaçantes. Mais c’est ce monde entier sur scène qui est étrange et menaçant. On ne comprend pas toujours ce qu’ils disent, l’intrigue n’est pas simple, mais à les voire évoluer ils perdent un peu plus de leur humanité. Dans cette société l’arbitraire devient la règle. Il devient parfois un parti pris de mise en scène et l’on se régale de ces moments où la farce prend le dessus. Ainsi, lorsqu’un personnage ne se déplace qu’en dansant sur ses chaussons de petit rat ou que le leader tête ronde apparaît en crooner sous les spotlights, rien ne le justifie, mais tout l’autorise et l’on en redemande…

© Anne Nordmann

Les parties chantées sont de véritables respirations, souvent des moments de grâce. C’est là que le spectacle trouve un élan qui parfois lui fait défaut. Sur la musique originale d’Arthur Bresson, on peut passer de la complainte, seule en scène, d’une jeune prostituée en haut d’un escabeau (l’un des plus beaux moments de la soirée), à une scène d’opérette complètement décomplexée. D’un trio de nazillons à la tête ronde, au duo délirant de la prostitué et de la vierge, tentant de se faire passer l’une pour l’autre ! Devant leur tentative les plus désespérés pour survivre, ces personnages nous font rire. C’est cruel et méchant, mais c’est magnifique !
La scénographie aussi est marquante. Ces immenses paravents coulissant de part et d’autre de la scène, derrière lesquels les personnages apparaissent et disparaissent comme dans un tour de magie un peu kitch, transforment l’espace sur un simple passage comme une page que l’on tourne.
Tous ces moments, toutes images, tous ces passages nous ont ravi, et cependant un petit goût d’inachevé nous reste sur le bout de la langue. Tous les ingrédients sont présents, et pourtant nous regrettons de ne pas être emportés par la fougue et la violence de cette écriture. Le rythme parfois laborieux devra se trouver au fil des représentations.
Cela ne nous empêchera certainement pas de vous conseiller ce spectacle dont la musique et beaucoup d’images nous trottent encore dans la tête.

Têtes Rondes et Têtes Pointues
De : Bertholt Brecht
Mise en scène : Christophe Rauck
Avec : Myriam Azencot, Émeline Bayart, Juliette Plumecocq-Mech, Camille Schnebelen, Marc Chouppart, Philippe Hottier, Jean-Philippe Meyer, Alain Trétout, Marc Susini
Musique originale, Scénographie : Jean-Marc Stehlé
Costumes : Coralie Sanvoisin
Masques et objets : Judith Dubois
Dramaturgie : Leslie Six
Lumière : Olivier Oudiou
Répétition chant : Jean-François Lombard
Collaboration chorégraphique : Claire Richard
L’Arche Éditeur est l’agent théâtral du texte représenté

Du 10 janvier au 6 Février 2011

Théâtre Gérard Philipe
59 Boulevard Jules Guesde, 93200 Saint Denis
www.theatregerardphilipe.com

En tournée :
Toulouse, TNT » du 15 au 20 février 2011
Lille-Tourcoing, Théâtre du Nord » du 5 au 15 avril 2011
Théâtre de Suresnes » le 29 avril 2011
Mulhouse, Filature » du 3 au 7 mai 2011
Carouge, Atelier-Théâtre de Carouge » du 11 au 23 octobre 2011

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