ƒƒ article de Denis Sanglard
© Élizabeth Carecchio
Soudain l’été dernier…A Cabeza de Logo le jeune poète Sébastien Venable est mort dans des conditions étranges, atroces semble-t-il avec pour seul témoin sa cousine Catherine. Sa version hallucinée et terrible de l’évènement est contestée par la mère de Sébastien, Violette. Violette qui pour conserver intacte la mémoire de son fils vénéré comme un dieu, loin de l’image de prédateur sexuel que décrit sa cousine, décide de faire lobotomiser Catherine. Confrontation entre deux visions d’un même événement, autour d’un absent, entre déni, réalité ou fantasme, c’est un voyage au bord de la folie, au confin de la psyché humaine où la réalité et sa perception se révèlent des plus ténues, fragiles. Tennessee Williams signe une pièce étrange, brève, explorant les frontières entre le bien et mal. Une pièce sur la dévoration des êtres, voire l’auto-anthropophagie, une allégorie qui trouve peut-être sa clef dans cette scène décrite par Violette des oiseaux carnassiers se précipitant sur les bébés tortues à peine éclos et rougissant le sable de leur sang. Une pièce qui reste sur un mystère car le récit hallucinatoire de Catherine ne résout pas la question de savoir comment est mort Sébastien, ni qui il était réellement, mais dénonce au final les béances des personnages, leur blessures psychiques profondes. Tennessee Williams ne tranche pas entre le fantasme et la réalité peut-être parce que le premier porte la révélation d’une réalité autrement plus violente, et que la seconde ne peut se comprendre qu’au regard de celui-ci. Stéphane Braunschweig respecte un postulat souhaité par Tennessee Williams, inscrire l’œuvre non dans le réalisme mais dans une projection mentale, un enfermement étouffant et quasi sauvage à l’image de cette forêt luxuriante qui fait office de salon, un jardin du bien et du mal où racines et lianes s’entremêlent, serre tropicales en lieu et place d’une cellule capitonnée. Etouffant huit-clos. Certes la pièce est bavarde, certes elle paraît quelque peu datée. Mais une fois dépassé ces préventions et c’est ce qui intéresse au premier chef le metteur en scène, l’intérêt se porte sur le processus mémoriel, la fabrique du souvenir et la reconstruction de la réalité frottées aux traumas subis, en relation ou non avec l’événement traumatique conté. Ainsi le viol le Catherine, qui n’est pas mentionné dans le film éponyme de Mankiewicz, se frotte en écho au récit de la mort de Sébastien. Comme ces fougères où cet arbre au centre du plateau, les racines traumatiques plongent profondément en chacun des personnages et ressurgissent en rhizomes au-delà de l’événement traumatique. Stéphane Braunschweig allège avec justesse sa mise en scène, centrée principalement sur ces deux femmes enfermées chacune dans leur vérité et dont elles ne sortent pas. Il ne tranche pas, ne retranche pas, n’apporte volontairement aucune réponse. Au spectateur de conclure dans le doute. Quand Catherine franchit la porte, belle trouvaille que ces murs capitonnés qui enferment bientôt cette jungle et les personnages, lieu à la fois ouvert et fermé, on ne sait si elle réintègre l’hôpital où si elle en sort définitivement. Mais elle précipite avec elle dans l’enfer, après ce récit inouï de l’événement de Cabeza de Logo, l’ensemble des personnages. Même la dernière réplique, celle du psychiatre au nom troublant de Sugar, bel euphémisme, ne lève aucunement le voile sur le mystère de Catherine, pas plus que sur celui de la mort de Sébastien. Stéphane Braunschweig n’élude pas les dialogues, la pièce je l’ai dit peu sembler bavarde. Il en fait comme la colonne vertébrale de sa mise en scène. Ce sont comme des récits enchâssés, emboités les uns dans les autres, entrelacés comme ces lianes qui pendent des cintres jusqu’au plateau. Pas d’actions, de mouvements ou si peu. Ce sont ces dialogues qui donnent l’impulsion, la dynamique à l’ensemble. Ces logorrhées verbales, qui demandent des acteurs remarquables pour projeter sur le plateau des images dynamiques se substituant à l’action absente, recèlent des clefs pour entrer dans la psyché de ces personnages au bord de l’abîme. C’est presque qu’inconsciemment, en toute innocence relative, qu’ils se mettent à nu par des images, des allégories données pour réalité, des visions cauchemardesques pour vérité. Violette au Galápagos observant la réaction de son fils devant les oiseaux déchiquetant les tortues de mer trace un portrait terrifiant à l’encontre de celui qu’elle défend becs et ongles. C’est cette cruauté tant mentale que charnelle qui est à l’œuvre dans cette pièce et que Stéphane Braunschweig souligne sans jamais appuyer. Mais jamais folie ici n’avait eu paradoxalement un visage aussi normal. C’est par les dialogues qu’elle suinte. Ce qui règne dans cette mise en scène c’est justement ce calme étrange, cette camisole feutrée de normalité que le metteur en scène semble avoir carapaçonnée autour de chacun. Même dans la veulerie des parents de Catherine dont l’enfermement arrangerait également leurs affaires. Le récit visionnaire de Catherine, la mort de Sébastien à Cabeza de Logo, n’est jamais dans l’hystérie, la démonstration, mais vécue comme une vision traumatique douloureuse, presque intime. Même là Stéphane Braunschweig évite soigneusement l’écueil du trop. C’est justement la force des acteurs, corsetés dans leur folie, de ne jamais sombrer dans l’outrance. De brider leur jeu. On peut reprocher le jeu monolithique de Luce Mouchel (Violette) mais il est le reflet de cette psychorigidité de mère intrusive et abusive, incestueuse, sans laquelle elle s’effondre. Marie Rémond (Catherine) est d’une totale ambiguïté, elle ne délivre rien, tout entière à son récit, sans recul et sans jugement, ce qu’elle apporte à Catherine c’est une vérité souterraine complexe qui la consume et qui nous demeure insaisissable. Stéphane Braunschweig livre une version psychanalytique de cette pièce plus complexe qu’elle ne parait. On peut être dérouté par cette mise en scène en apparence sage, si peu active. Mais elle vibre d’une tension interne qui intrigue captive de bout en bout…
Soudain l’été dernier
De Tennessee Williams
Mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
Traduction Jean-Michel Desprats et Marie-Claire Pasquier
Avec Jean-Baptiste Anoumon, Océane Cairaty, Virginie Colemyn, Boutaïna El Fekkak, Glenn Marausse, Luce Mouchel, Marie Rémond
Collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumières Marion Hewlett
Son Xavier Jacquot
Vidéo François GestinDu 10 mars au 14 avril 2017
Du mardi au samedi à 20h, dimanche 15hOdéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon – 75006 Paris
M° Odéon
Réservation 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.eu 25 au 29 avril 2017 Théâtre du Gymnase – Marseille
11 au 14 mai 2017 Piccolo Teatro – Milan
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