ƒƒ article de Denis Sanglard
Ça commence par un cours de relaxation, une mise en condition, avant d’enchaîner doucement sur un cours de fitness de haut niveau où la violence des postures physiques, on peut parler de violence, est à peine adouci par un discours doucereux de bien être, voire new-age, trompeur et franchement ironique au regard de la torture infligée au corps. Et lentement cela glisse vers une chorégraphie où, reprenant les éléments de ce corpus corseté, les combinant, très vite le corps se libère, exulte même, affranchi enfin de toute entrave, de tout diktat de performance imposée. La danse comme une libération explosive, jouissive. Raphaëlle Delaunay, que nous vîmes chez Pina Bausch, Jérôme Bel ou Boris Charmatz, entre autres, aborde le fitness comme une expérience singulière et traumatique où le culte du corps allié à la performance masque à peine une recherche désespérée, voire désespérante, du corps idéal, une certaine idée de la beauté, fabriquée, artificielle, qui n’est, comme dénoncé à la fin – heureuse idée – qu’un écran de fumée derrière lequel l’individu disparaît pour rejoindre le néant… La vérité est ailleurs. Ce qui se révèle là malgré l’humour féroce et grinçant d’un discours de bien-être asséné comme un mantra malgré la souffrance visible infligée au corps par des postures très vite insoutenables, malgré le sourire qui bientôt se crispe, c’est le tragique d’une société où prime l’image, le corps formaté, où se perdent les identités dans un masochisme volontaire, entre jouissance et souffrance, pour un idéal illusoire, commun et uniforme. Raphaëlle Delauney, avec beaucoup de malice et de justesse, tend un miroir cruel où se reflètent notre malaise et notre fragilité dans la fabrique obstinée d’un corps sculpté, un corps social, métaphore d’une quête illusoire d’adaptation musclée au monde devenue aliénation. On pourrait objecter que la danse participe du même processus, dans la recherche d’un corps idéal, parfait, rompu à toutes techniques. Seulement là où la danse libère, dans le dépassement de la technique, la pratique du fitness et de ses dérivés, devient le symptôme d’une société malade où le culte de la performance et de la beauté aliène l’individu. Quand Raphaëlle Delauney glisse imperceptiblement de cette gymnastique infernale à la danse, ce pas-de-côté magistral et libératoire fait toute la différence.
Soma concept et danse Raphaëlle Delauney
Son Pierre Boscheron
Scénographie et lumières Sylvie Garrot
Regard extérieur Herman Diephuis, Catherine LegrandDu 11 au 15 juillet 2017 à 19h
Maison des Métallos
94, rue Jean-Pierre Timbaud
75011 ParisM° Couronne (ligne 2)
M° Parmentier (ligne 3)
Réservations 01 47 00 25 20
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