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« Sœurs » de Wajdi Mouawad, au Théâtre National de Chaillot

Avr 10, 2015 | Commentaires fermés sur « Sœurs » de Wajdi Mouawad, au Théâtre National de Chaillot

ƒƒ article de Camille Hazard

 

© Pascal Gély

© Pascal Gély

 

Après l’écriture et la mise en scène de la magnifique tétralogie Le Sang des Promesses, Wajdi Mouawad se lance dans un nouveau cycle littéraire et théâtral Domestique composé de Seuls (2013), Sœurs et prochainement de Frères, Père et Mère.
Si Seuls mettait en scène le personnage d’Harwan, libanais, travaillant au Canada et amené à questionner son exil et sa mémoire, c’est au tour de Geneviève Bergeron d’être au centre de la famille et de porter la voix de l’exil physique, psychologique et de poser la question de la langue et du langage.

« On range sa guitare dans le placard comme les mots dans le fond de sa gorge. »

Une tempête de neige sur la route Montréal-Ottawa
Geneviève au volant de sa Ford Taurus, accompagne son autoradio en chantant Je suis une chanson
Instant au téléphone avec sa mère
Ce coup de fil, cette musique, cette voix, entrainent Geneviève dans le doute, dans ce qui n’est pas advenu dans sa vie et dont elle prend conscience, là sous la tempête de la décennie.
Elle mesure le temps qui est passé depuis son enfance
Ses manques, tous ses manques qu’elle ressent maintenant et qu’elle ne veut plus taire
Le piège de la vie s’est refermé sur elle sans crier gare

Après la conférence qu’elle donne sur la médiation des conflits dans le monde, Geneviève se retire dans un hôtel pour passer la nuit.
La chambre 2121 va devenir le théâtre de son bouleversement.

Sœurs est l’histoire de plusieurs exils; exil d’une libanaise, exil d’une canadienne au Canada, exil des mots qu’on ne prononce plus…

A l’instar des autres pièces composées d’une pléthore de personnages pris au piège dans le labyrinthe des liens du sang et des origines, Sœurs (et avant Seuls) met en scène un personnage qui rencontre par la force des choses, son double, sa sœur d’exil et qui ne parcourt pas le monde à la recherche de réponses mais s’enferme dans une chambre close pour se trouver.

Wajdi Mouwad met en scène avec force, la langue du théâtre et de l’exil. Il parvient à réunir ces deux notions, en fait, à les rendre inséparables.
La voix de la chanteuse et la voix de la mère déclenchent un torrent de bouleversements amenant Geneviève à se sentir exilée, et c’est par le dialogue et les mots dits, qu’elle pourra (peut-être) se rendre à la vie. La chambre du Palace Hôtel est entièrement interactive; tous les services se demandent à voix haute, la charmante hôtesse vous adresse des remerciements mielleux, pourtant le langage ici n’a pas sa place. La fièvre de Geneviève se poursuit dans cette chambre où la langue française est proscrite…
Il y a des instants où l’on se dit, pour ne pas être affecté, « je prends de la distance, ça ne me touche pas, je m’en fous », mais tous ces petits instants qui n’ont l’air de rien, créent un exil de soi, de sa famille, de ses attaches, et l’exil nous empêche d’ÊTRE au présent.
L’exil psychologique de Geneviève rencontre l’exil physique incarné par Leïla, autre personnage, interprété par la même incandescente comédienne.

Un imposant dispositif de cloisons coulissantes en rotonde recrée l’intérieur de la chambre 2121… Lorsque les cloisons se referment, une projection de la chambre en dessin apparaît avec des phrases écrites défilant sur les murs. Le public mis en distance par ce langage interactif, voit se profiler les dessins comme une cartographie cérébrale. Mais si l’appareillage est impressionnant il n’ajoute pas vraiment de poids aux propos aiguisés de Mouawad.
Il faut attendre la dernière partie du spectacle pour que la langue, si poétique et si brute de l’auteur, se livre pleinement, avant le texte se tient au plus près du quotidien et justement dans cette économie de langage…
La comédienne Annick Bergeron, torche vivante pendant 2h10, enflamme l’espace, brûle toute son énergie pour honorer les différents personnages que lui confie le metteur en scène. Certainement une des plus belles performances de comédienne seule (!) en scène.

 

Sœurs
Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Inspiré par Annick Bergeron et Nayla Mouawad
Dramaturgie Charlotte Farcet
Assistant mise en scène Alain Roy
Scénographie et dessins Emmanuel Clolus
Lumières Eric Champoux
Assistant lumières Eric Le Brec’h
Vidéo Dominique Daviet et Wajdi Mouawad
Costumes Emmanuelle Thomas
Direction musicale Christelle Franca
Composition David Drury
Réalisation sonore Michel Maurer
Maquillages Angelo Barsetti

Avec Annick Bergeron

Du 9 au 18 avril 2015
Du mardi au vendredi à 21h00, samedi à 15h00, dimanche à 14h30

Théâtre National de Chaillot
1, Place du Trocadéro – 750116 Paris
M° Trocadéro
Réservations 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

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