Critiques // « Série B, titre noir et provisoire » de Laurent Vacher au Théâtre de l’Opprimé

« Série B, titre noir et provisoire » de Laurent Vacher au Théâtre de l’Opprimé

Mar 07, 2011 | Aucun commentaire sur « Série B, titre noir et provisoire » de Laurent Vacher au Théâtre de l’Opprimé

Critique de Bruno Deslot

Dans la solitude du silence imposé

Dans la cité, lieu de survie d’une multitude isolée, Moussa y a fait commerce et de vols en viols, d’arrestations en condamnations, l’enfermement est devenu son quotidien, les barreaux, le filtre de sa vie.

© Eric Didym

Entre ailleurs et là-bas, l’univers de Moussa se divise en trois rues de tailles et hauteurs différentes, trois voies parcourues par les personnages qui croisent sa route. Enfermés dans une boîte noire, les protagonistes du drame le sont aussi dans leur solitude et leur silence. A peine ils s’effleurent, juste ils se regardent pour dire l’essentiel, exprimer un état d’urgence, tenter de libérer une parole muselée. A l’avant-scène, il y a Cheveux Rouges, l’avocate de Moussa mais aussi la spectatrice d’une aventure dans laquelle le scénario se répète. Elle nous rapporte les différentes étapes de la procédure de manière très prévisible. La force de l’habitude ! Dans le couloir central, Moussa se confie derrière ces tulles de voiles noirs qui séparent les différents espaces et permettent d’accentuer ce sentiment d’isolement. Son passé dans la cité, la drogue, les tournantes, les copains, l’argent facile et puis Mireille, cette caissière manucurée, attentionnée, se distinguant des autres. Celle dont il tombe amoureux et dont il fait une femme de parloir, une égarée de plus confrontée aux lois incoercibles de l’administration pénitentiaire. Une histoire d’amour séparée par des barreaux, générant le trouble, la frustration et imposant le silence. Ce silence, ces silences qui font écho au moindre hurlement, aux claquements de portes, à la résonance d’un monde menaçant.

La violence du propos est sans concessions, proche d’un vécu pluriel, et fait entendre une parole multiple, une voix pour toutes dont la solitude est le trait d’union. La langue est belle, poétique, colorée et contraste avec cette obscurité dans laquelle les personnages sont plongés. Moussa file la métaphore dès lors qu’il évoque un ailleurs, s’évadant en pensée pour goûter le fruit d’une liberté conditionnelle. Un vocabulaire choisi pour narrer l’inénarrable, nommer l’innommable, donner du rythme à un espoir en perte de vitesse. Les répliques de Moussa s’apparentent à de la narration, celle de sa vie sur laquelle il peut revenir maintenant qu’il est enfermé. La poésie de ses répliques contraste avec celles plus pragmatiques de Cheveux Rouges, recourant à un champ lexical plus usuel tout comme le surveillant de prison. On ne leur a pas demandé de réfléchir car un bon fonctionnaire est un fonctionnaire qui fonctionne !
Enfin, la naïveté de Mireille, basculant bientôt dans une réalité à laquelle elle ne s’attendait pas, propose deux niveaux de langage, l’un innocent, quotidien et pratique se situant d’un côté du mur puis l’autre, violent, vindicatif, nerveux, se situant de l’autre côté du mur, celui de la prison. Ces changements lexicaux s’opèrent à la faveur de Moussa, ils leurs font écho tout en les prolongeant bien au-delà des couloirs qu’il parcoure pour se rendre de sa cellule au parloir. Enfin, celle du codétenu, « le trou », l’égout séminal des chibres en béton sur lesquels il s’assoit afin d’avoir la paix, s’impose comme une parole dérobée, un instantané, une parole de détenue hurlant sa détresse.

© Eric Didym

Intervenant théâtre en milieu carcéral, Laurent Vacher s’inspire de son expérience en milieu fermé pour raconter à sa manière ce qu’il y a entendu. Ses impressions croisées, permettent d’échafauder l’histoire de Moussa et par là-même, celle de tout ceux qui croisent son chemin. La construction de la proposition procède par feed back, et donnent toujours plus de perspective à cette sensation d’allées et venues entre les couloirs que les personnages traversent sur la scène. L’histoire semble être construite à rebours d’une vie, et par voie de conséquences, de plusieurs. Un paysage sonore, composé par des basses et des sons métalliques, accentue la violence ou le réalisme du propos, que les images irréelles projetées sur les tulles noirs, rendent presque réel.
Laurent Vacher a choisi la sobriété pour mettre en scène cette « Série B ». Peu de déplacements, des mouvements précis, une exactitude dans la tenue et la diction des comédiens afin de souligner cet effet de répétition, il n’y a que trop peu de place dans cet univers carcéral pour permettre aux personnages de s’ébrouer inutilement. Chacun est renvoyé à sa solitude, son propre enfermement, son silence !
Les comédiens semblent avoir été taillés sur mesure pour interpréter cette « Série B » et la qualité de leur jeu parfait un ensemble étonnamment puissant et violent. On sent une direction d’acteurs qui n’a pas fait l’économie du temps de la réflexion afin de livrer, clefs en main, le produit fini. La proposition est d’une grande sensibilité, procède par fulgurance pour toujours mieux atteindre sa cible. Le texte de Laurent Vacher nous parvient avec toujours plus d’exactitude, portée par une distribution choisie et talentueuse.

Série B
Titre noir et provisoire

De et mis en scène : Laurent Vacher
Images : Eric Didym
Scénographie : Laurent Vacher
Lumière et vidéo : Victor Egea
Création sonore et régie générale : Michaël Schaller
Avec : Jules Emmanuel Eyoum Deido, Marie-Aude Weiss, Dahirou Togo, Clara Dumond, Yves Nadot

Du 2 au 13 mars 2011

Théâtre de l’Opprimé
78 rue du Charolais, 75 012 Paris
www.theatredelopprime.com

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