Critique de Anne-Marie Watelet –

Réjouissons-nous, les fidèles de Marguerites Duras, une nouvelle mouture de Savannah Bay a vu le jour ! Philippe Sireuil en signe la mise en scène, présentée en ce moment au Théatre de l’Athénée.
Que l’on imagine Madeleine Renaud jouer Madeleine, car c’est pour elle que Duras a écrit cette pièce, commencée en 1947 puis retravaillée pour paraître en 1982. Parmi ses nombreuses adaptations, celle-ci a la faveur d’une retenue en demi-teinte tant dans le jeu que dans la scénographie. Philippe Sireuil qui a longtemps enseigné le théâtre à Bruxelles, entre autres, avant de se consacrer à la mise en scène, peut se féliciter d’avoir collaboré une deuxième fois (après Le récit de la servante Zerline) avec la comédienne Jaqueline Bir dont l’expérience de la scène est également très riche.

© Zvonock

Amour, mort, mémoire, oubli, dans le bleu de la mer et avec le sourire

Sur le plateau sombre, une vieille dame, Madeleine, ancienne comédienne à qui rend visite presque chaque jour une jeune fille. Elle ravive sa mémoire, la guide, et veut encore entendre l’histoire; et aussi des souvenirs. L’histoire de Savannah Bay revient inlassablement, à elle qui, pourtant, perd la mémoire. Mais elle résiste: « on peut tout oublier, tout sauf Savannah Bay ». Savannah Bay, ville côtière du Siam – mais qui peut être toutes les autres que l’auteur a aimées et qui auréolent ses romans, les rues vides et (mal) odorantes le soir, la mer bleue, l’éclat du soleil, l’amour perdu, les lieux brillants désertés que l’amant veut ressusciter… Et que M. Duras fait ressurgir de son passé: l’eau, la terre près de Saïgon, l’amant, et surtout la mère, toujours là qui observe, celle du Barrage contre le Pacifique (1950). L’histoire que raconte Madeleine est celle d’une rencontre, d’un amour éphémère, absolu et tragique. Et d’une perte dont elle ne se remet pas.

© Zvonock

Mise en scène toute en délicatesse, et qui vise l’essentiel.

A ce récit toujours recommencé, se mêlent des pensées, des souvenirs en miettes de rôles incarnés. La scène n’est-elle pas le lieu idéal pour convoquer ces variations chaque soir ? Les paroles douces et les émotions partagées là, sur cette scène avec la jeune fille et le public, s’écoulent dans un rythme cadencé comme le flux de la marée. Des silences pleins de sens forcent son désir de vivre « ça » et de comprendre. La comédienne Jaqueline Bir sait tendre un fil ténu entre les récits morcelés et les impressions, de manière à créer une attente. Sa voix bien posée a des accents de nostalgie pour l’inconnu – ce qu’elle imagine ou bien qu’elle a vécu ? – et son regard scrute ou fixe le lointain au-dessus de nous, au-delà de ses chers océans. La conduite de jeu ainsi que la scénographie ont évité avec succès toute dramatisation, et si le discret accompagnement musical nous émeut (la nostalgie dans la musique du film La révolte des enfants, composée par René Aubry et la voix d’Edith Piaf dans une chanson d’amour), il n’y a pour autant ni pathétique ni romantisme – une trahison de l’univers durassien !

Au contraire, cette mise en scène restitue la liberté d’écriture et la poésie de M. Duras pour qui « écrire c’est hurler sans bruit ». Mais hurler sans s’apitoyer et sans susciter la pitié, dire les chose telles qu’elles arrivent en soi. C’est à prendre ou à laisser, et cette adaptation donne envie de prendre.

Savannah Bay
De : Marguerite Duras
Mise en scène : Philippe Sireuil
Avec : Edwige Baily et Jaqueline Bir
Décors, costumes et lumières : Philippe Sireuil

Du 4 au 26 novembre 2011
Le mardi à 19h, les mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 20h.
Matinées exceptionnelles le 13 nov. à 16h et le 26 nov. à 15h

Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris 9e
Metro Opéra ou Havre-Caumartin – Réservations 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com

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