Critiques // Sans Titre (2000) de Toni Sehgal, à La Ménagerie de verre, Festival Etrange Cargo

Sans Titre (2000) de Toni Sehgal, à La Ménagerie de verre, Festival Etrange Cargo

Avr 05, 2016 | Commentaires fermés sur Sans Titre (2000) de Toni Sehgal, à La Ménagerie de verre, Festival Etrange Cargo

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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TINO SEHGAL 

© Tate

Réappropriation du solo conçu par Tino Sehgal en 2000, solo conçu comme une pièce muséographique qui recouvre 100 ans de pratique et de recherche chorégraphique contemporaine, de vision du corps. Une traversée de la danse où l’on s’amuse et se perd à repérer dans les esquisses, les amorces des mouvements, les signatures des chorégraphes et danseurs qui ont bouleversé la vision de la danse et du corps, marqué durablement leur époque jusqu’à encore aujourd’hui.

On commence bien sûr par Isadora Duncan, la pionnière de la danse contemporaine, et on remonte ainsi le temps, Nijinsky, Mary Wigman… Hijikata (me semble-t-il), Cunningham, Anne Teresa de Keermaeker… La liste est exhaustive, qui va de l’abstraction à l’expressionnisme, du minimalisme à l’organique. Combien de gestes soudain nous sautent aux yeux, devenus si identifiables. Le balancement des bras de Pina Bausch si particulier qui nous fait soudain nous émouvoir et pourtant à peine esquissé. Mais ce qui est formidable ici c’est la mise à nu du corps au travail. Nudité des danseurs, nudité du studio de la Ménagerie de verre, immense espace sans autre lumière que naturelle et les plafonniers. Une brutalité, un dépouillement qui fait surgir le corps au travail, le dépouille de tout artifice, l’écorche en somme. Sueur, mains rougies, pieds écorchés, orions. Il n’y a rien qui ne puisse nous échapper. Tout se concentre donc sur le danseur, ici et chacun leur tour Frank Willems et Boris Charmatz. Entre tension et relâchement qui les voit glisser d’un corps à l’autre, d’une danse à l’autre, d’un espace à l’autre avec une déconcertante facilité, une maitrise époustouflante, une souplesse qui n’est pas que musculaire et une bonne dose d’humour. Ou la marche, transition et danse tout à la fois, prend tout autant d’importance.

Mais ce qui aurait pu être un exercice fermé sur lui-même, une exploration un peu vaine, un exercice de style, par la grâce du solo donc, d’une concentration sur un seul danseur et du dispositif – à savoir le dépouillement absolu – opère au contraire une ouverture inédite. Ce que l’on découvre c’est combien la danse même marquée par son créateur et son époque est perméable au danseur. Nous avons deux solos et c’est une variation sensible sur un même objet et sujet. Il n’y a rien de commun entre Franck Willems et Boris Charmatz qui pourtant stricto-sensu reproduisent en apparence ce solo si singulier. Le premier, plus massif, plus terrien, plus rond et davantage dans la séduction, imprime ainsi sa marque, plus physique. Il y a quelque chose de délibérément volontaire. Boris Charmatz, plus dans l’expérimentation, moins dans la séduction, qu’il a naturellement, ne dévie pas du champs exploratoire, historique qui est, entre autre, sa spécificité on le sait. Il semble s’amuser de ce solo comme on donnerait une master-class. C’est un corps pensant. Physique certes mais plus sensible qui fait de son corps un champ exploratoire qu’il pousse dans ses retranchements. Ce qui apparaît donc, et c’est la leçon de ce solo, c’est combien la danse peut être transcendée par celui qui se l’approprie. Nous ne sommes pas dans la reproduction mais bien dans la réinvention. Il ne s’agit plus de technique mais de sensibilité. C’est ce qui fait la force de ce solo qui justement ne peut donc, malgré les citations qu’il égrene, que s’inscrire dans le présent, celui du danseur qui se l’approprie et le restitue. Car c’est de sa propre histoire aussi qu’il s’agit. C’est ainsi inscrire la danse dans le présent, inscrire ce solo dans la performance, lui assurant une pérennité, une continuité par la réappropriation obligée. Une danse qui par ces interprètes ne cesse de se réinventer et qui, c’est aussi la subtilité de cette création, existe dans le regard immédiat et la mémoire de celui qui regarde. La danse est un passé sans cesse recomposé et visité ce qui en fait un objet toujours contemporain et vivant.

 

Sans Titre (2000)
Conception Tino Sehgal
Interprétation Boris Charmatz, Frank Willens
Du 31 mars au 2 avril 2016, 19h30
La Ménagerie de verre
12/14 rue Léchevin – 75011 Paris

 
Festival Etrange Cargo
du 15 mars au 2 avril 2016
réservations 01 43 38 33 44
communication@menagerie-de-verre.org

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