Critiques // « Sang de Cerisier » mise en scène de Yoshi Oïda, à la Maison de la Culture du Japon à Paris

« Sang de Cerisier » mise en scène de Yoshi Oïda, à la Maison de la Culture du Japon à Paris

Mai 21, 2015 | Commentaires fermés sur « Sang de Cerisier » mise en scène de Yoshi Oïda, à la Maison de la Culture du Japon à Paris

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

arton1443-9260f© Jean-Paul Bourgois

12 mars 2011. 14h26. La terre tremble au Japon, niveau 9 sur l’échelle de Richter. 29 minutes plus tard un tsunami s’abat sur les côtes du Tohoku. 20 000 morts ou disparus. A Fukushima la centrale nucléaire est éventrée. 160 000 personnes sont évacuées définitivement. Combien de morts dans les années à venir, proches et lointaines ? Combien de victimes qui ne sont pas encore nées ? Aucune réponse, nulle solution.
C’est un travail en cours d’élaboration, non encore fini, pas vraiment abouti, soumis à notre appréciation. Mais même en l’état c’est déjà une très belle création, sensible, une promesse tenue. Yoshi Oïda et la compagnie « Le Bruit des hommes » pour évoquer cette tragédie ont choisi la sobriété extrême. Pas d’effet spectaculaire, pas de pathos. S’appuyant uniquement sur des témoignages, rapportés avec une grande simplicité, une juste pudeur, sans jamais se mettre à la place des victimes, illustrés de photos et de films qui suscitent encore aujourd’hui l’effroi et la stupéfaction, c’est une plongée vertigineuse dans un drame qui dépasse le japon par les questions posées sur nos avancées technologiques, cette course folle difficilement maîtrisée quoi qu’on en dise. Les faits sont têtus. Un japon qui toutefois et paradoxalement semble encore ancré dans une tradition évoquée ici, fines incises, par le vendeur de thé, évocation de la sagesse ou de la folie, les deux faces d’une même médaille, lui qui du renoncement a fait sa vie. Mais ce fantôme n’est-ce pas là un fantasme occidental, cliché tenace, qui fige le japon dans un exotisme, un ailleurs étrange, masquant une réalité bien plus complexe d’un pays fortement inscrit dans une modernité économique et technologique ? Ce 12 mars le japon s’est révélé à nos yeux dans une réalité bien plus tangible et tragique. « Sang de cerisiers » ne prétend aucunement répondre aux questions soulevées. Cette création en pose au contraire bien d’autres sans les formuler. Il suffit d’une énumération, un simple diaporama, celui de nos propres centrales nucléaires, pour que soudain ce qui était un évènement bien loin de nous, étranger, géographiquement et temporellement, nous tombe sur la tête avec un fracas sourd. La force de cette création est justement de ne jamais être dans le jugement mais de dérouler des faits. Rien de spectaculaire pour autant ni de sensationnel. Ce sont de petites choses qui marquent la résilience de ceux qui ont tout perdu et qui dans le dénuement brutal rejoignent dans la sagesse le vendeur de thé. Il y a cette femme qui dans les décombres des maisons glane les photos des habitants disparus, enfuis –on ne sait- les nettoie et les suspend sur les débris de ce qui fut leur habitat… Il y a cet homme qui justement recherche une photo de sa femme disparue pour ne pas oublier son visage. Et cet autre encore qui participe à un concours de haïkus comiques… Et ce paysan, qui se sait désormais condamné, mais ne renoncera pas, ne peut renoncer à sa terre. Le frottement entre cette catastrophe écologique, nucléaire et cette vie quotidienne revenue, ce balancement de l’un à l’autre est tout simplement bouleversant. Avec les disparus qui hantent les vivants, fantômes et témoins, victimes muettes de notre inconscience, de nos errements technologiques. Et cette question ci posée : pourquoi le japon, désormais seconde puissance économique mondiale, qui vécut Hiroshima et Nagasaki, a-t-il multiplié les centrales nucléaires sur son propre territoire ? Avec le tsunami la pluie noire d’Hiroshima est devenue blanche sur Fukushima. Et que faisons-nous, nous qui les multiplions de même ? Yoshi Oïda signe une mise en scène profondément engagée qui avec intelligence ne répond nullement aux questions posées mais engage le spectateur dans un abyme de réflexion. Surtout la sobriété des comédiens comme du dispositif scénique ouvre un espace magnifique et mémoriel dans lequel s’engouffrent les survivants et les disparus de cette catastrophe. C’est ce poids là, ce poids précieux de chair, que le tsunami avait étrangement occulté, comme rendu abstrait par l’édoro – la boue du tsunami – qui nous est donné de redécouvrir. Les cerisiers ne pleureront plus en vain.

« Sang de Cerisiers » d’Yves Borrini
Mise en scène de Yoshi Oïda
Avec Marie Blondel, Yves Borrini, Maryse Courbet, Masato Matsuura
Création lumières, Dominique Borrini
Musique, Dominique Bertrand

Maison de la Culture du Japon à Paris
101bis quai Branly
75015 Paris
15 et 16 mai 2015
20h
Réservations : 01 44 37 95 95
www.mcjp.fr

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