Critiques // « Sale Août », comédie triste en quatre actes de Serge Valletti à la MC93

« Sale Août », comédie triste en quatre actes de Serge Valletti à la MC93

Jan 05, 2011 | Aucun commentaire sur « Sale Août », comédie triste en quatre actes de Serge Valletti à la MC93

Critique de Solveig Deschamps

Quand le théâtre se mêle à l’Histoire…

17 août 1893, Aigues-Mortes, Les Marais Salants, émeute entre les ouvriers français et les ouvriers italiens, huit morts, plus de cinquante blessés, tous italiens. Acquittement des français. Pogrom jeté aux oubliettes de l’Histoire de France. La Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration qui a ouvert ses portes au palais de la porte dorée à Paris en octobre 2007 a voulu sortir cet événement du silence aussi a t-elle proposé à la MC93 d’en faire du théâtre…
La commande a été passée à Serge Valletti, écrivain marseillais d’origine italienne, comédien et auteur  entre autres de « Pourquoi j’ai jeté ma grand–mère  dans le vieux port » , « Le jour se lève , Léopold ! » , « Carton plein », « Domaine ventre », « L’argent »…
Serge Valletti qui fait dire à un de ses personnages dans « Au bout du comptoir, la mer! » : «Je me laisse entrainer par des histoires qui me rentrent dans le cerveau et qui ont de la peine à en sortir, il en reste toujours des bribes, des fragments, des débuts des fins, parfois un type qui parle tout seul.»

© Lucie Laurent

Comment s’y est-il pris pour se laisser entrainer dans l’écriture de cette sale histoire vraie ? Il tourne, retourne les documents qu’a écrit Gerard Noiriel sur les événements tragiques d’Aigues-Mortes, y trouve un point d’accroche : la vaste propriété de Monsieur Granier (le père Fournier dans la pièce) propriété dans laquelle les ouvriers italiens et les gendarmes venus les protéger vont essayer de se réfugier , ils essuient un refus (le brave homme a peur qu’on lui saccage sa maison).
La villa de monsieur Fournier devient le lieu où se situe la pièce, là où se débattent les personnages  qui  vont vivre le  drame de l’intérieur et de loin, comme s’ils n’étaient pas directement concernés .

Une histoire à la Tchekhov qui se serait invité chez Labiche.

Une comédie triste  en quatre actes que va jouer cette famille bourgeoise confrontée presque malgré elle à ces trois journées tragiques suivies de la dernière celle du procès. L’histoire par le petit bout de la lorgnette qui nous raconte l’Histoire.

« Adrienne : Je sortais de chez moi pour aller à la gare, le train de seize heures douze. Pensez ! Entourée, d’un coup j’ai été entourée, ils ont des fourches, des bâtons !
Marthe : Pourquoi faire ?
Adrienne : Je ne sais pas.
Marthe : Ils devraient être en train de travailler dans les marais, c’est curieux !
Blanche : Moi, ce que j’ai vu, c’est que des macaronis se sont réfugiés dans la boulangerie. »

© Lucie Laurent

Des chaises, un sol blanc, un tulle derrière lequel on aperçoit une passerelle d’où l’on va pouvoir suivre de loin les événements, décor qui figure plus qu’il ne raconte, offrant une liberté qui brouille parfois, trop d’allers et venues devant, derrière, sur la passerelle, même si esthétiquement, l’œil s’en réjouit .
Patrick Pineau nous offre une mise en scène sobre et efficace, les circulations répétées autour du tulle donnent forme au piétinement de cette petite société de province. La musique est parfois un peu trop subjective comme si le metteur en scène avait eu peur que le spectateur oublie le drame qui est en train de se jouer. Les lumières de Marie Nicolas ont réussi à donner à l’extérieur l’opacité qui révèle l’aveuglement des personnages. Seul Alexandre l’artiste (quel bel acteur !) en sait percer la brume. Plateau offert aux comédiens, tous excellents avec un petit coup de cœur pour Célia Catalifo  et sa belle interprétation du Hareng – Saur de Charles Cros qui n’est pas sans nous faire penser à Nina dans la Mouette, Hervé Briaux, formidable de mauvaise foi dans Monsieur Anton, haut responsable de la Compagnie des salins du midi.

Le théâtre peut-il nous raconter l’Histoire ?

© Lucie Laurent

Le spectateur, indéniablement, rentre dans l’Histoire  avec un grand H bien qu’il lui manque quelques clés pour  mieux la comprendre. Il pourrait rester comme les protagonistes : témoin impuissant, comme s’il avait allumé la télé et qu’il ne sache comment réagir, mais il  lui est permis – comme le personnage du professeur d’histoire – de mettre les événements en perspective  « L’histoire doit être replacée dans le tout » .
L’hommage est-il rendu aux ouvriers massacrés à Aigues mortes en 1893 ? Peut-être pas, mais quoiqu’il en soit, nous sommes projetés dans notre propre lâcheté et c’est autant de gagné pour essayer de faire autrement…

Sale Août
De : Serge Valletti
Mise en scène : Patrick Pineau
Assistante à la mise en scène : Anne Soisson
Avec : Gilles Arbona, Nicolas Bonnefoy, Hervé Briaux, Célia Catalifo, Laurence Cordier,, Jean Charles Di Zazzo, Pierre –Félix Gravière, Mathilde Jaillette, Laurent Manzonni, Benoît Marchand, Sylvie Orcier
Lumières : Marie Nicolas
Son : Jean Philippe François
Scénographie : Sylvie Orcier
Costumes : Sylvie Orcier, Charlotte Merlin
Accessoires : Renaud Léon

Du 4 au 23 janvier 2011

MC93
1 boulevard Lénine, 93 000 Bobigny – Réservations 01 41 60 72 72
www.mc93.com

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