Critiques // « Rhinocéros », Ionesco revisité par Emmanuel Demarcy-Mota au Théâtre de la Ville

« Rhinocéros », Ionesco revisité par Emmanuel Demarcy-Mota au Théâtre de la Ville

Mai 02, 2011 | 2 commentaires sur « Rhinocéros », Ionesco revisité par Emmanuel Demarcy-Mota au Théâtre de la Ville

Critique de Dashiell Donello

La re-création de « Rhinocéros » par le metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota, avec une nouvelle lecture de la pièce d’Eugène Ionesco (1909-1994), est monstrueusement talentueuse !

« L’œuvre imaginaire est la seule à être révélatrice, à avoir ses racines dans la réalité fondamentale qu’est la vie. » Eugène Ionesco, « Notes et contre-notes »

Eugène Ionesco cherchait pour sa pièce un animal terrible, borné, qui fonce droit devant lui. Des moutons féroces ? Non. Cela n’allait pas. Alors en feuilletant le Larousse, il est tombé, par hasard, sur le mot et l’image d’un rhinocéros. Ce périssodactyles allait devenir le symbole d’une pandémie redoutable : la “rhinocérite”.

Dans cette pièce métaphorique, en trois actes et deux tableaux, Eugène Ionesco nous raconte l’histoire d’une petite ville de province, sans histoire, où des petits fonctionnaires, par de petites lâchetés ordinaires et un manque de discernement certain, vont être les complices de leur propre métamorphose.

© Jean-Louis Fernandez

Oh ! un rhinocéros !

Jean et Bérenger, deux amis, ont rendez-vous sur la place de la ville. Jean reproche à Béranger sont retard, son triste état et son souffle d’ivrogne. Les deux compères ne semblent pas entendre un bruit sourd et lointain, suivi d’un long barrissement. Lorsque soudain, Jean voit passer au galop un rhinocéros. Une contamination verbale commence par la répétition d’une même phrase par les personnages de la pièce : « Oh ! un rhinocéros ! » Cet endoctrinement répétitif va créer un effroi général, et, un débat sur le rhinocéros unicornu et le rhinocéros bicornu, selon qu’il soit d’Afrique ou d’Asie. De même que le syllogisme du chat révèle que l’on peut devenir un chat en ayant pour nom : Fricot et Isidore. Tous, sauf Béranger, se transforment en rhinocéros. A la fin, plusieurs têtes de rhinocéros appellent, de leur chant, Béranger. Il assiste aussi impuissant à la métamorphose de Daisy. « Ce n’est tout de même pas si vilain que ça un homme », pense-t-il. Le doute le ronge. Il ne sait plus s’il a raison ou tord. Il est le dernier de son espèce. Mais ne capitule pas. Bérenger refuse la montée de ce totalitarisme cornu et après avoir résisté à l’appel des sirènes, à la carapace verte, il entre en résistance.

Pièce majeure dans l’oeuvre théâtrale d’Eugène Ionesco, « Rhinocéros » est une critique éclairée de ce qu’il a vécu personnellement dans une Europe guerrière et sauvage. Contemporain horrifié du stalinisme et du nazisme, il a voulu dénoncer ces idéologies totalitarismes par la brutalité d’une bête dangereuse.

© Jean-Louis Fernandez

« J’ai considéré que je n’avais pas à présenter un système idéologique passionnel, pour l’opposer aux autres systèmes idéologiques et passionnels courants. J’ai pensé avoir tout simplement à montrer l’inanité de ces terribles systèmes, ce à quoi ils mènent, comme ils enflamment les gens, les abrutissent, puis les réduisent en esclavage. » A propos de « Rhinocéros » dans son livre : « Notes et contre-notes ».

Emmanuel Demarcy-Mota, dans cette nouvelle mise en scène, a parfaitement rendu compte du désespoir qu’avait Ionesco face à cette multitude endoctrinée par des agissements inhumains. Il a trouvé dans sa recherche le sens et la cohérence d’un théâtre qui, de plus en plus, tire sa réalité, non pas de l’absurde, mais de l’intelligence. La scénographie de Yves Collet est astucieuse. C’est une sorte de lego en échafaudages métallique, qui s’anime et se défait selon les besoins des actes et des scènes.

La direction d’acteur est orchestrée avec brio par des comédiens brillants. Hugues Quester, qui joue le rôle de Jean, se métamorphose dans une apnée angoissante. Son jeu est d’une rare intensité. Il respire l’animalité avec densité et maîtrise. Serge Maggiani, qui joue le rôle de Béranger, est de ces comédiens tendres et lunaires qui se font rares aujourd’hui. Mais il faut féliciter aussi le travail choral de la troupe du Théâtre de la Ville. Tous au diapason d’une mise en scène monstrueuse de talent. Du grand art.

Rhinocéros
De : Eugène Ionesco
Mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota
Assistant à la mise en scène : Christophe Lemaire
Collaboration artistique : François Regnault
Scénographie et lumières : Yves Collet
Avec la collaboration de : Nicolas Bats
Musique : Jefferson Lembeye
Costumes : Corinne Baudelot
Assisté de : Élisabeth Cerqueira
Maquillages : Catherine Nicolas
Accessoires : Clementine Aguettant
Conseillère littéraire : Marie-Amélie Robillard
Avec : Serge Maggiani, Hugues Quester, Valérie Dashwood, Charles Roger Bour, Sandra Faure, Gaëlle Guillou, Sarah Karbasnikoff, Walter N’guyen, Stephane Krähenbühl, Gérald Maillet, Pascal Vuillemot, Philippe Demarle, Jauris Casanova

Du 29 avril au 14 mai 2011

Théâtre de la Ville
2 Place du Châtelet, 75 004 Paris – Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

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