Critiques // « Rêve d’Automne » de Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau au Théâtre de la Ville

« Rêve d’Automne » de Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau au Théâtre de la Ville

Déc 06, 2010 | Un commentaire sur « Rêve d’Automne » de Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau au Théâtre de la Ville

Critique de Dashiell Donello

Avec la mort la vie est un ciel avec des nuages avant que la nuit ne tombe. J.F

« Rêve d’automne » de Jon Fosse raconte l’amour et la mort. La mort dans la vie, l’amour dans la mort, la vie dans le rêve et le réel dans l’indicible avec autant de variantes que sur les soixante-quatre cases d’un jeu d’échec. Un homme et une femme, anciens amants, se retrouvent dans un cimetière à l’enterrement d’une grand-mère, mais pas seulement :  « Tu sais ce que je pense. Je pense que je suis peut-être venue ici dans ce cimetière, je veux dire pour te rencontrer, C’est peut-être ça. »

© Pascal Victor | ArtComArt

Dans cette nécropole qui réunit les morts et les vivants, l’homme et la femme brisent les tabous et les dogmes de la mort dans un rêve d’automne. Ils défient le temps et jouent entre l’éphémère et l’éternel. Ils sont dans la métaphysique du souvenir où les anges de la mort attendent leurs offices.  Les silences sont les paroles des disparus. De pierre tombale en pierre tombale l’homme se rassure que son passé soit bien inhumé à perpétuité. Ce qui est immanent est périssable, et ce qui a péri est immortel. La mort est-elle incarnée dans la femme qui déambule dans les allées ? Ce cimetière pourrait-il être un lieu de procréation ? L’homme et la femme s’attirent et se repoussent, comme les pôles d’un aimant retourné. Leur désir est un feu follet lumineux, mais froid. Est-ce peu sexy de parler de sexe chez les morts ? Viennent-ils parler de leur passé ou viennent-ils l’enterrer ?

L’HOMME – Ils ont vécu et maintenant ils sont là, maintenant ils sont morts, maintenant il ne reste plus rien de la plupart d’entre eux. Ils n’étaient rien. Rien du tout. Puis il y a eu deux êtres humains qui, allez savoir comment, dans le désir et la volupté en tout cas oui il y a eu deux êtres humains qui… Peut-être y a-t-il eu un homme qui a pris la mère de celle-là dans un cimetière. Peut-être dans ce cimetière ici c’est ainsi qu’elle a été conçue.

© Pascal Victor | ArtComArt

Si tu ne viens pas au musée, le musée ira au théâtre !

Le décor de « Rêve d’automne » créé par Richard Peduzzi pour la reprise du spectacle au Théâtre de la Ville, s’inspire du salon Denon du musée du Louvre où la pièce s’était jouée en avant-première dans le cadre de la manifestation « Les visages et les corps » avec Patrice Chéreau comme grand invité. « Je lisais cette pièce et c’est le musée qui a décidé pour moi. Les vrais lieux, les vrais gens m’inspirent souvent plus qu’une pièce ou qu’un décor. Le Louvre m’a proposé d’être son grand invité au mois de novembre de cette année, j’ai accepté et j’ai bâti une programmation, théâtre, films, danse, expositions dont la pièce maîtresse sera justement ce Rêve d’automne. »
Si l’on peut comprendre la démarche scénographique de Patrice Chéreau au Louvre, qui, par la force des choses, ne peut être qu’une adaptation à un lieu qui a sa propre théâtralité dans la vraie vie, on n’a plus de mal à saisir le sens d’un musée-cimetière sur le plateau du théâtre de la Ville. Le théâtre est le lieu du présent, où des vivants regardent d’autres vivants. La métaphore d’un théâtre-musée, pour figurer un cimetière, n’est-elle pas un peu tirée par les cheveux ? Les œuvres du Louvre ne sont-elles pas passées à la postérité, et ne sont-elles pas, pour le coup, contemporaines face à nos regards ? Est-ce que les cimetières sont des musées et les morts des œuvres d’art ? L’art est-il un mort qui s’expose dans les galeries ? Si les gens l’inspirent plus qu’un décor, on est en droit de se poser la question : pourquoi une telle complication et tant de morgue architecturale, Monsieur Chéreau ?
Avec cette copie conforme du salon du Louvre, on est dans le théâtre d’entrepreneur et Jerzy Grotowski (1933-1999)  doit se retourner dans sa tombe de voir tant richesse dans un lieu où le superflu devrait rester ici-bas. Heureusement, Patrice Chéreau a le talent de nous faire parvenir ce texte magistral en dirigeant avec habileté les comédiennes et comédiens sur une partition écrite dans l’espace avec les corps et les états. Michelle Marquais vieille ombre errante qui impose une aura d’ange. Pascal Gregory l’homme et Valéria Bruni-Tedeschi la femme, qui désavouent leur amour, malgré un début hésitant. Bulle Ogier la mère,  au jeu impérieux en garante de la famille. Bernard Verley qui impose avec authenticité son personnage et Marie Bunel sobrement délétère. Merci à l’écriture Jon Fosse, à la force de l’émotion des ses mots, et à la poésie de son invisible souhait qui transpire dans les silences. Et comme il le dit si bien : « (…) une entente n’est surtout pas intellectuelle, c’est une sorte d’entente émotionnelle qui est surtout inexplicable, du moins intellectuellement ».

Rêve d’Automne
– Molière de la comédienne dans un second rôle (Bulle Ogier), Molière du décorateur/scénographe (Richard Peduzzi), et Molière du créateur lumière (Dominique Bruguière), 2011 –
De : Jon Fosse
Traduction : Terje Sinding (Ed. L’Arche)
Mise en scène : Patrice Chéreau
Avec : Pascal Greggory, Valeria Bruni-Tedeschi, Bulle Ogier, Bernard Verley, Marie Bunel et Michelle Marquais, Alexandre Styker
Décor Richard : Peduzzi
Costumes : Caroline de Vivaise
Lumières : Dominique Bruguière
Conception sonore : Éric Neveux
Assistants à la mise en scène : Valérie Nègre, Vincent Huguet
Assistantes aux déors : Cécile Degos, Louise Reyre
Assistante costumes : Brigitte Laléouse
Assistant lumières : François Thouret

Du 4 décembre 2010 au 25 janvier 2011

Théâtre de la Ville
2 Place du Châtelet, 75 004 Paris – Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.