Critiques // « R.E.R » de Jean-Marie Besset au Théâtre de la Tempête

« R.E.R » de Jean-Marie Besset au Théâtre de la Tempête

Mar 12, 2010 | Aucun commentaire sur « R.E.R » de Jean-Marie Besset au Théâtre de la Tempête

Critique de Bruno Deslot

Incident pour avarie de matériel

Tôt dans la matinée, une jeune fille se fait agresser dans le RER D. Rouée de coups, ses vêtements sont lacérés et ses agresseurs lui dessinent des croix gammées sur le ventre. Un incident qui défraye la chronique et constitue le point de départ d’un trafic dense entre plusieurs mondes.

Jeanne se promène toujours avec une valise à la main, c’est sa façon à elle de voyager, de s’évader, d’échapper à son quotidien de caissière chez Lidl. Jo, une p’tite frappe du 93, kiffe la meuf et l’embarque dans ses combines. Le RER passe, transite de la banlieue vers Paris, dans un sens où dans un autre, tout comme ces gens qui se croisent chaque jour ! Herman, un avocat socialement installé, juif et homosexuel, vit dans un loft confortable de la capitale. Epris du jeune A.J., cadre dynamique, ambitieux et déterminé, il accepte, contre mauvaise fortune bon coeur, d’aider le jeune loup à entrer dans la bergerie. A.J. est amoureux d’Onyx, ouvreuse dans un cinéma d’art et d’essais, poursuivant ses études à Normale, accordant au jeune homme des entrevues rapides pendant lesquelles le sexe domine la parole. Herman se lie d’amitié avec la jeune fille afin de la rapprocher d’A.J.

© Marc Ginot

L’intrigue se noue, les destins se croisent et le RER passant par Drancy, y accueille, un matin de bonne heure, Jeanne qui se fera agresser, molester et traiter de sale juive. Un fait divers qui défraye la chronique, les médias sont sur les rails de l’info ou de l’intox ?

Bien plus qu’un fait divers

9 juillet 2004. Entre Louvres et Sarcelles, Val d’Oise. Marie-Léonie Leblanc, 23 ans, voyage dans le RER D, accompagnée de sa fillette de treize mois. Violemment agressée par des Noirs et des Maghrébins, ils lui tailladent les cheveux, lacèrent son pantalon et son tee-shirt au couteau et lui dessinent des croix gammées sur le ventre car ils croyaient qu’elle était juive. Mais trois jours plus tard, Marie-Léonie revient sur ses déclarations et avoue avoir menti. Elle voulait attirer l’attention sur ses problèmes personnels.

Un fait divers défrayant la chronique au sein d’une société qui s’enlise dans un désastre politico-médiatique. Jean-Marie Besset utilise cet événement comme un point de départ pour son R.E.R, traversant les vies de ces gens que rien ne destinait à se rencontrer. L’auteur porte un regard lumineux sur son époque, en évoquant les soucis de ses contemporains dans une langue sans aspérités. Sur les rails de l’actualité, il détourne le fait divers pour mieux exploiter sa dimension éminemment sociale et en tirer une galerie de portraits dont le trait d’union, en deçà de toutes les différences qui les opposent, est la solitude.

© Marc Ginot

Comme disait Roland Barthes à propos du fait divers « […] tout est donné dans un fait divers : ses circonstances, ses causes, son passé, son issue ; sans durée et sans contexte, il constitue un être immédiat, total qui ne renvoie, du moins formellement à rien d’implicite. C’est en cela qu’il s’apparente à la nouvelle et au conte, et non plus au roman. ». Le nouveau directeur du CDN de Montpellier emprunte la rame du convoi social pour restituer une histoire forte, dans laquelle des milieux sociaux opposés sont amenés à se rencontrer, bien malgré eux.

D’un compartiment à l’autre

Douze scènes qui explorent sept lieux, contenus dans des blocs, qui restituent l’étanchéité des frontières de l’échelle sociale, parfois traversée par des ondes de choc. D’un côté de la scène, un loft parisien, confortable et accueillant, de l’autre un espace, un lieu de passage où les petites gens s’affairent. Deux mondes opposés dont la ligne de partage est intelligemment délimitée par un jeu de lumières étonnant et des décors mobiles qui évoluent au fil des scènes. Jeanne, errant sur le plateau, rencontre Jo porte de Clignancourt, où elle achète des valises. Son rêve, aller à l’aéroport Charles de Gaulle et partir, loin ! Mais entre une mère aux préjugés bien arrêtés, détestant Jo, l’arabe avec lequel sa fille couche, qui ne lui offre comme exotisme que le gardiennage d’un local en plein mois d’août, la jeune fille se sent seule. Tout comme Herman, juif et homosexuel, épris d’un jeune cadre dynamique qui lui échappe pour la belle Onyx. Chacun joue son rôle de passeur dans cette aventure humaine, où les dialogues se télescopent, comme les évènements qui poussent Herman à défendre la jeune Jeanne suite à sa fausse agression. D’un compartiment à l’autre ou d’un bloc à l’autre, les sensibilités se croisent, se heurtent, s’animent, s’arriment à un espoir qui n’échappe cependant jamais à son destin social.

© Marc Ginot

Le dispositif scénique est remarquable et emboîte le pas à chaque scène en proposant un univers suffisamment lisible pour en saisir les codes. Le mise en scène de Gilbert Désveaux est d’une extrême simplicité et d’une remarquable justesse. Le propos se suffit à lui-même et ce n’est pas la peine d’en rajouter.

Une distribution étonnante, complémentaire et talentueuse pour dire ce que l’auteur veut nous raconter. Une Jeanne (Mathilde Bisson) confondante dans son rôle de pauvre fille esseulée, toujours en partance. Un Jo (Marc Arnaud) viril et conquérant, incarnant avec une extrême justesse, le fantasme de la banlieue, qu’il soit social ou sexuel, Herman y succombe d’ailleurs lorsqu’il convoque le jeune homme chez lui pour finalement lui proposer autre chose qu’un entretien. Didier Sandre (Herman), élégant, distingué et en proie à sa propre solitude, investit les lieux avec toujours plus d’intelligence, tout comme Onyx (Chloé Olivères), une comédienne exceptionnelle à qui l’avenir promet une belle carrière. Madame Argense (André Ferréol), juste et touchante, impose une présence forte, l’air de rien tout comme A.J. (Lahcen Razzougui).

R.E.R emporte le public sur les rails de la collision sociale, avec justesse, authenticité et un décalage entre les dialogues qui suscite le rire. Cependant, l’auteur aurait pu, sans doute, tirer un peu moins le trait sur l’éternel sujet des juifs et des homosexuels, thème rebattu, même si il relance la dynamique de la pièce à chaque changement de scène.

R.E.R.
De : Jean-Marie Besset
Mise en scène : Gilbert Désveaux
Avec : Andréa Ferréol, Didier Sandre, Marc Arnaud, Mathilde Bisson, Brice Hillairet, Chloé Olivères, Lahcen Razougui
Scénographie : Alain Lagarde
Lumières : Pierre Peyronnet
Costumes : Alain Lagarde
Son et images : Serge Monsegu

Du 11 mars au 18 avril 2010

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Maoeuvre, 75 012 Paris
www.la-tempete.fr

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