Entretiens // Rencontre avec le metteur en scène Patrick Zuzalla

Rencontre avec le metteur en scène Patrick Zuzalla

Jan 13, 2010 | Aucun commentaire sur Rencontre avec le metteur en scène Patrick Zuzalla

une rencontre de Bruno Deslot

Fort de son succès lors de la saison dernière à la Maison de la Poésie, Philoctète et ravachol est repris à partir du 20 janvier 2010 à la Maison de la Poésie. Ravachol, anarchiste français, mort guillotiné à 33 ans en 1892. Philoctète, héros grec abandonné sur une île déserte par Ulysse et ses compagnons. Deux personnages qui exposent leur solitude à une enquête intransigeante sur la condition humaine. Ecrit par Cédric Demangeot, remarquablement interprété par Damien Houssier, cette création est mise en scène par Patrick Zuzalla.

Dans ses deux poèmes sur Philoctète et Ravachol, Cédric Demangeot dit avoir traité les deux personnages à égalité et parle, à ce titre, d’une poétique de la juxtaposition assumée. Comment vous êtes vous approprié cette juxtaposition pour la mettre en espace ?

Patrick Zuzalla : L’idée de la juxtaposition vient de ma vision du poème ravachol. Ce personnage est constitué d’une succession de parties plus juxtaposées que liées entre elles. Dans un premier temps, ayant travaillé ravachol seul, Cédric m’a donné à lire Philoctète qui m’est apparu comme un élément qui venait se coller à ravachol. D’où l’idée de cet enchaînement, qui pourrait tout à fait s’inverser d’ailleurs. Je parle de juxtaposition car dans le premier poème de Cédric Demangeot, ravachol, je vois une succession de couches, un mouvement continu dans la première partie du poème puis un ravachol invaginé dans la seconde. Ces deux parties fonctionnent vraiment comme deux couches superposées avec deux façons de fonctionner, d’expérimenter, de reconstruire l’être de ce personnage. Une fois que la partie magique, qui est celle de invaginé ravachol a explosé, soit on est face à une fin, une clôture, soit on peut considérer que l’être se remet en marche pour tenter un redémarrage. Cette lecture du personnage nous a tenté et c’est pourquoi Philoctète prend la suite et que le comédien se relève, se remet en faculté de jeu, réinvente un espace, un costume avec ce qui étaient ses outils dans la première partie pour repartir dans un autre univers et peut être ainsi ajouter une couche qui serait un entrelacement des couches précédentes. D’un point de vue scénographique, mon souci a été de construire un espace d’expérience, voire d’exposition comme un lieu où l’on expose un beau tableau ou une carcasse éventrée. Cela peut être du Delacroix comme du Bacon. C’est donc dans ce sens, que les quelques outils de jeu dont le comédien se sert, se sont imposés dans le travail.

Philoctète a en commun avec Ravachol d’être un grand « raté ». Cédric Demangeot dit s’emparer de ce « raté » pour faire de ces deux personnages, une figure exemplaire de la résistance. Quel est votre point de vue à ce sujet et comment vous en êtes vous emparé pour mettre en scène Philoctète et ravachol ?

PZ : La réécriture de la fin du mythe connote, de  façon beckettienne, le personnage de Philoctète et en fait un « raté », en tout cas quelqu’un qui n’a plus qu’un peu de force pour aller vers la solitude, pour puiser un peu d’humanité. Philoctète et Ravachol sont deux figures de résistance et en même temps de mise en garde. Chez Philoctète, il y a cette belle figure de résistance qui choisit de rester seul sur un île, fuyant les autres. On peut, à ce titre le rapprocher d’un Timon d’Athènes ou d’un Alceste qui, à un moment donné, choisit le désert. Il y a aussi cette violence, perpétuellement présente et revendiquée que l’on transforme par les mots et par la langue pour, peut être, éviter un passage à l’acte brutal. Malgré cette transformation, la violence est présente et pèse comme la menace permanente d’un dérapage. C’est en quelque sorte, une analyse de l’anarchie, une façon de montrer que la résistance désespérée ne mène pas à grand-chose.

Par quels procédés scénographiques avez-vous donné une dimension résolument contemporaine à Philoctète et ravachol ?

PZ : C’est une question que l’on se pose toujours. Faut-il être contemporain ou pas ? Je ne vais pas éluder la question mais j’ai envie de dire que c’est une question que l’on ne s’est pas énormément posée. Nous n’avons pas cherché à rendre les deux poèmes contemporains, mais nous avons cherché à savoir comment nous allions permettre de proposer un travail qui pose les questions essentielles du théâtre, comme la manière dont le comédien s’approprie la langue. Dès lors, le plateau devient un lieu d’exercice et d’expérience et je préfère que les images se constituent à partir de cette question la. Celle de savoir comment appareiller le comédien pour lui permettre d’atteindre la langue à son plus haut niveau. A partir de là, les outils s’imposent plus ou moins, ils font partie de l’exercice, puis on les retient pour passer le cap de la répétition pour aller construire l’image sur le plateau. C’est comme cela que les choses se sont élaborées. Il y a une dimension d’exposition dans ravachol, d’où ce lieu de dissection éminemment corporel, avec ce rapport au sang, à un récipient qui contient cette matière, faisant référence à la marmite que Ravachol dépose au domicile du président Benoît. Un bâche, déposée à même le sol, est une manière de parler de violence sans jamais donner l’impression de salir. L’acteur se sert énormément de cette bâche comme appui et cet outil scénographique devient un costume pour le comédien qui passe à l’autre personnage, qui est Philoctète. Dès lors, la translation devient intéressante. La marmite devient le compagnon fidèle du personnage mythologique, et est utilisée comme un outil du paysage. Philoctète parle de la grotte en montrant la marmite, par exemple. Les outils qui restent en scène, y sont car ils permettent de démultiplier les images et au comédien de proposer un dégradé des angles.

Le poème de ravachol est composé à la manière d’un ready-made. Exploitez-vous cette dimension esthétique dans votre travail ?

PZ : Déjà, au niveau du jeu, cela permet de saisir la démarche du poète et donc de la mener à bien, dans le théâtre aussi. Le fait que les trois quarts du poème de ravachol soient constitués des Mémoires de l’anarchiste, Ravachol, dans lesquelles il raconte sa vie aux gardiens de la prison, soient également composés d’éléments du procès, cela m’a permis, à l’opposé des objectivistes américains, d’observer une démarche subjectiviste. Je n’ai travaillé que la matière de ravachol en y ajoutant rien, ce qui permet de réaliser une poésie en excès d’être. La dimension supplémentaire dans le ready-made, sur tous les premiers mouvements de ravachol, c’est de constituer une arme contre toute psychologisation du personnage ou de cette destinée. C’est quelque chose qui impose très vite la question du rythme du poème, puisque les différentes petites parties sont intitulées roman en vers, et de façon maladroite, nous retournons aux origines de la langue en France, c’est-à-dire, au récit de l’époque médiéval. Nous sommes, du coup, dans une épopée maladroite, ou d’un être « raté » qui rapporte tous les épisodes de sa vie et le rythme qui raconte cela, essaye d’épouser ce destin. Nous sommes dans un récit qui s’appuie sur des faits biographiques contrebalancés par une prosodie extrêmement travaillée, permettant d’être toujours en regard ou en accompagnement de ce personnage.

La nudité est un choix de mise en scène de votre part, que Cédric Demangeot a très bien compris et accepté. Au théâtre, la nudité a suivi l’évolution d’un parcours qui est allé de la révolte à la normalité. Ne craignez-vous pas que la nudité du comédien banalise le propos ?

PZ : C’est en effet le danger ! Soit on décide que le théâtre permet toutes les formes d’expressions possibles et l’on décide de n’en mettre aucunes de côté, donc la nudité est une possibilité de travail, soit on se dit qu’en effet aujourd’hui, c’est rentrer dans une forme d’esthétisme sans grand intérêt. Nous avons fait le choix de travailler la nudité, à un moment du spectacle, car cela nous paraissait nécessaire. Ce qui mène mon travail au théâtre, c’est l’implication inévitable du corps et de la langue. Le théâtre est le seul art vivant qui permet à la langue de prendre corps et inversement, ce qui peut être perçu comme particulièrement indécent. Lorsque l’on expose la langue à un niveau d’exigence tel que celui du théâtre l’impose, c’est forcément pour nous mettre face à un miroir et ainsi nous interroger. Dans ce spectacle, la nudité est un souci de revendiquer cela, comme une forme d’exposition et non d’exhibition. Plutôt que d’écrire des manifestes ou de long discours sur la nudité au théâtre, il est préférable que ce soit la représentation qui mette cela en jeu. C’est pourquoi la nudité est essentielle dans ce spectacle.

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Philoctète et ravachol
De : Cédric Demangeot
Mise en scène et scénographie : Patrick Zuzalla
Du 20 janvier au 14 février 2010

Maison de la Poésie
Passage Molière
157 rue Saint-Martin
75 003 Paris

www.maisondelapoesieparis.com

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