Entretiens // Rencontre avec l’auteure, metteuse en scène et comédienne Carole Thibaut

Rencontre avec l’auteure, metteuse en scène et comédienne Carole Thibaut

Jan 11, 2010 | Aucun commentaire sur Rencontre avec l’auteure, metteuse en scène et comédienne Carole Thibaut

Une rencontre de Bruno Deslot

Auteure, metteuse en scène et comédienne, Carole Thibaut poursuit, depuis 2001, son travail autour des écritures contemporaines. Elle crée et développe chaque saison des projets artistiques en direction de publics de différentes cultures et origines sociales, s’attachant à croiser et à confronter les paroles et les voix de chacun, en lien étroit avec son propre travail de recherche. En 2008-2009, elle a écrit et interprété Histoire de résonances, en collaboration avec le compositeur François Méchali, a joué dans Cut, d’Emmanuelle Marie, mise en scène de Jacques Descordes au Théâtre du Rond Point et a créé Fantaisies qu’elle écrit, met en scène et interprète. En 2009, elle reçoit le prix nouveau talent théâtre SACD et sa pièce, Avec le couteau le pain, vient de paraître aux éditions Lansman.

Rencontre avec Carole Thibaut

Fantaisies est une création proposant une représentation de la femme, a contrario, de celle que la société véhicule. Votre spectacle s’intitule Fantaisies ou l’idéal féminin n’est plus ce qu’il était ! L’idéal féminin n’est-il pas aussi un désir de femme ?

Carole Thibaut : Je crois que c’est un désir de société. Un désir social d’une identité qui existe ou qui n’existe pas, ça c’est une autre question. C’est la question que pose le spectacle d’une certaine manière. L’idéal féminin est un désir de femme dès lors qu’il est guidé par un désir social et culturel bien ancré dans les représentations collectives. Mais, je ne pense pas que ce soit un désir de femme, comme certains peuvent le défendre. Durant le spectacle, je tente d’interroger ce désir, mais il est difficile de s’émanciper de la représentation de cet idéal féminin, construit depuis des siècles, que ce soit dans nos sociétés occidentales ou dans n’importe quelle autre société puisque l’idéal féminin est quelque chose d’assez universel.

Quels sont vos auteurs de prédilection qui guident votre réflexion et accompagnent l’évolution de vos créations ?

CT : Cela peut être des anthropologues comme Françoise Héritier, ou des gens qui ont fait un travail plus journalistique, des écrits psychanalytiques aussi autour de la théorie du phallocentrisme dont je parle dans le spectacle. Cela peut aussi être des femmes ou des hommes que j’ai rencontré, de milieux culturels et sociaux très différents, qui permettent d’avoir des points de vue plus nuancés. Un écrivain comme Maupassant, qui a écrit des choses épouvantables sur les femmes fait partie de mes lectures, ou encore George Sand, que j’aime énormément aussi. Mais dès que l’on commence à interroger chacun ou chacune sur l’identité du genre, on se trouve face à de véritables contradictions. J’interroge le sujet de l’idéal féminin, non en tant que spécialiste mais en tant qu’artiste, avec ma propre expérience intime. Je tente de l’éclairer.

Au cours du spectacle, l’image de la femme se disloque, “ça” ne cesse de lui échapper. Faites vous référence au «ça» de Freud comme centre des pulsions qui constituent l’énergie psychique de l’individu ?

CT : “Ça”, freudien ou lacanien, c’est aussi la chose que l’on ne peut pas dire, celle que l’on ne peut pas nommer. Le sexe de la femme est nommé de plein de manière et n’est pas nommé à la fois. C’est un endroit non défini. Chez Lacan, c’est le trou noir, la chose qui engloutit tout. “Ça” échappe à la femme parce qu’on lui a interdit, d’une certaine manière, de le nommer. “Ça” est quelque chose dont on ne peut pas parler, qui est mal défini, parfois même innommable. Tout ce qui est lié au sexe de la femme est caché.

Allez-vous utiliser votre corps pour parler de «ça» au cours de votre spectacle ?

CT : J’utilise le corps, le son, le jeu théâtral et interroge la représentation de l’idéal féminin autour de l’identité du genre. J’interroge donc les différentes représentations sexuées à partir des représentations déjà établies. Je joue avec les codes théâtraux comme celui du sitcom qui interroge une représentation sexuée assez forte qui est celle de la « pétasse ». J’ai appelé ce spectacle Fantaisies surtout par rapport à là où m’ont emmenées mes propres pérégrinations et c’est pour cela que c’est un spectacle qui évolue constamment.

Votre spectacle s’enrichira donc au gré des rencontres que vous effectuerez ?

CT : Je rencontre des gens qui s’avèrent être plus souvent des femmes que des hommes, car dans certaines structures, il est plus facile d’en rencontrer. A travers ces rencontres, je nourris le spectacle, mais cela peut aussi avoir lieu lorsque je rencontre une femme au cours d’une discussion, ce qui ne veut pas dire que je suis toujours en état d’alerte ! De manière presque inconsciente, ces rencontres m’enrichissent et me permettent, à chaque fois que je retourne sur le plateau, de faire renaître autre chose. Et puis, c’est aussi ma propre évolution de femme qui nourrit le spectacle.

Droit de vote de la femme, lois sur l’avortement, parité homme/femme, vous parlez d’un grand bouleversement, en pressentez vous un autre ?

CT : Je crois que l’on est en plein bouleversement à tout point de vue. Lorsque je vois l’évolution entre ma mère, moi et ce que sera la vie de ma fille, en 30 ans, j’observe une évolution considérable. C’est un bouleversement que l’humanité n’a jamais connu auparavant, jamais ! Tous les repères, les fondements de nos sociétés, patriarcales à l’origine, sont bouleversés, bousculés. D’où un certain malaise. Le discours sur la virginité, par exemple, est particulièrement rétrograde, même dans un pays comme les Etats-Unis. Les religions sont une des premières ennemies des femmes parce qu’elles font référence à des époques historiques complètement révolues.

Vos actions avec des collectifs de femmes, d’horizons divers, consistent-elles à rendre la parole à cette moitié d’humanité qu’est la femme, comme vous le dites dans votre spectacle ?

CT : Mes créations ne sont pas toujours issues de ce travail là, mais j’ai absolument besoin de nourrir mon parcours de ces rencontres. Les femmes, que je rencontre, sont des groupes qui m’émeuvent beaucoup, non seulement parce que ce sont des personnes dans des situations précaires, mais aussi parce que dans ces situations difficiles, ce sont toujours les femmes les plus défavorisées. Elles sont toujours opprimées intérieurement. Ces rencontres me permettent de sortir des références convenues et trop confortables dans lesquelles nous évoluons. Le principe de la pensée unique assèche l’être humain d’un point de vue artistique. Le fait de travailler avec des gens différents, permet de rester en alerte sur le monde. Il me semble que l’artiste est au cœur même de la rencontre humaine qui tisse quelque chose entre différents regards. Dans ce spectacle, je ne fais qu’interroger ma propre représentation sociale à travers le prisme du féminin. Le spectacle s’appelle Fantaisies car je n’ai vraiment pas envie de me prendre au sérieux avec toutes mes interrogations. Je m’en amuse beaucoup, au contraire.

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Fantaisies
ou l’idéal féminin n’est plus ce qu’il était
De et avec : Carole Thibaut
Du jeudi 14 au samedi 30 janvier 2010

Confluences
190 bd de Charonne
75020 Paris

www.confluences.jimdo.com

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